Cela commence comme un roman d’espionnage : à Veracruz, sur la côte mexicaine, un écrivain venu faire une conférence sur Proust rencontre une belle jeune femme, Dariana : un « amour faucon », surprise et rapidité, exaltation des sens et des sentiments. Et disparition. Et un pli déposé à l’hôtel, avec « quatre récits, brefs et terribles, qu’on va lire ».
Oui, ils sont brefs et terribles, ces quatre récits… Quatre narrateurs, quatre personnages dans un huis-clos pestilentiel dans une immense bibliothèque dont les livres ont été évidés pour y mettre des cigares afin de les envoyer en contrebande aux Etats-Unis : Ignace, ancien Jésuite chassé du fait de ses « fornications lamentables », devenu rat de bibliothèque, « poussière amoureuse » éperdue de passion pour La Senora, Susana à qui il lit chaque soir un livre qui a échappé à l’évidement des autres… Il y a Miller, le maître des lieux, le mari, malfrat qui veut s’assurer de son pouvoir sur cette femme trop belle bien qu’il en soit lassé et ne supporte pas que ce vieux libidineux d’Ignace essaie de la conquérir à coups de lectures… Il y a El Griego, le père incestueux de Susana, « honteux du role que je joue dans la minable comédie dont je suis l’auteur« … Susana enfin, point focal du désir des hommes qui sait qu’elle est « belle comme idole aztèque, une déesse d’obsidienne. Belle comme un couteau. ». Beauté qu’elle hait et dont elle se venge de façon radicale.
Que va faire notre conférencier spécialiste de Proust de ces quatre récits à « la tonalité sombre et cruelle » ? Quel est le message laissé par Dariana en donnant ces quatre récits sans rien dire ? Etait-ce juste une façon de rompre ? Pendant un ouragan, le palais où vivaient les quatre personnages brûle entièrement à la suite d’un court-circuit. Quel sens donner à tout cela ? « Le monde serait une flamme, une eau bouillonnante, un nuage dissipé par le vent, et il nous échappe d’autant plus qu’on cherche à le saisir ».
Ce livre – qui baigne dans une ambiance baroque très réussie – est-il une interrogation sur la fonction de la littérature qui n’a pas à chercher un sens au monde là où il n’y en a pas. « Ce que nous appelons le monde n’existe que comme une fable. » Et « la littérature est une tromperie sans fin. » Avec sa maestria indéniable, Olivier Rolin laisse le lecteur s’égarer tout en le guidant vers une fin radicale : « Laissez-moi maintenant ».
Qu’y a-t-il en jeu dans Veracruz ? Un labyrinthe dans lequel le lecteur se perd tragiquement ou voluptueusement ? Des livres qui ne contiennent que des cigares de contrebande ? Ou est-ce juste un jeu où il n’y a rien à gagner ?
Livre à déconseiller à celles et ceux qui ont besoin de certitudes. Pour les autres, ce sera un vrai plaisir de lecture …
