Ces tribulations commencent dans les airs, au-dessus de la mer d’Andaman : Adam, cadre marocain dynamique à la carrière internationale, est saisi d’une crise d’angoisse existentielle : pourquoi est-il dans cet avion, alors que son grand-père, son père ne se sont jamais déplacés plus rapidement que le pas d’un âne… Il décide de ne plus prendre l’avion, de ne plus sacrifier au culte de la vitesse, de s’éloigner du monde occidentalisé dans lequel il s’était plongé, dans lequel il se sentait piégé. Première expérience, rejoindre Casablanca sans taxi, à pied ou en carriole, en trainant sa valise à roulettes.
Stupeur de sa femme, encouragée par sa belle-mère, stupeur de son psychanalyste qui n’y voit qu’une décompensation alors qu’Adam perçoit une recherche d’ordre philosophique, stupeur de ses patrons. Rien n’y fait : il laisse sa femme partir, donne sa démission et se retrouve seul dans un petit studio. Il constate que la vraie vie est ailleurs et décide de rejoindre le village familial. Durant sa longue marche vers Azemmour pour retrouver ses racines, il ne peut s’empêcher de réciter des vers de Victor Hugo. Il frappe à la porte de son riad natal : Nanna, une vieille tante infirme, l’accueille, ainsi qu’une petite fille qui le prenait pour le Diable.
Après deux semaines de sommeil, il ouvre la porte à ses deux premiers visiteurs, l’inspecteur et le shérif : l’Etat veille et surveille. Adam, dans sa recherche éperdue du monde de sa jeunesse, veut « oublier Voltaire ; ou s’en trouver un qui se prénommerait Ali ». Ce qu’il découvre dans la ville de son enfance l’amène à remettre en question ses résolutions.
Derrière cette quête un tantinet naïve de retrouver la simplicité de l’enfance, Fouad Laroui montre l’impossibilité de l’innocence. S’il n’est pas à sa place à dix milles mètres dans les airs, Adam ne l’est guère plus quand il se retrouve l’enjeu involontaire de luttes intestines dans son village en proie à une islamisation infantile qui laisse le beau rôle à un pouvoir de plus en plus totalitaire et manipulateur. Il essaie en vain de faire valoir son soufisme, tolérant et généreux, mais considéré par ses adversaires comme une dangereuse hérésie car donnant la place à l’interrogation, la réflexion, le débat. De quoi se rappeler Voltaire… Mais quelle peut être la victoire d’un homme seul ? Il quitte sa maison familiale au centre du village pour « vivre aujourd’hui dans une cahute sur la plage d’Azemmour, entre deux dunes, presque nu, hirsute, maigre comme un sâdhu… »
Ce thème, sérieux s’il en est, est abordé avec une verve réjouissante, un sens aigu de l’observation, une utilisation féroce de la dérision. Tout le contraire d’un sermon bien-pensant, ce retour perdant vers les racines de l’enfance est un hymne à l’amour des mots, à la littérature, à la recherche de sens au-delà de l’évidence et des raccourcis falsificateurs. Il tente une difficile et fragile synthèse entre le respect des valeurs traditionnelles et les interrogations de l’homme lettré alors que le vent souffle dans les voiles de l’intolérance et de l’ignorance. L’humour qui parcourt tout le livre se fige dans le silence d’une plage déserte… « Le retrait, voilà la vraie victoire ».
