La lettre à Helga – Bergsveinn Birgisson – Editions Zulma (v. f. 2013)

Lettre à HelgaCette lettre débute par l’annonce d’un décès, celui de la « chère Unnur » après cinq ans d’agonie. Celui qui signe la lettre, Bjarni, annonce la couleur : « Ah je suis devenu un vieillard impossible qui prend plaisir à raviver de vieilles plaies. » A 90 ans quand il écrit cette lettre, Bjarni  est amer. Avant de mourir, il écrit à Helga, celle, la seule, qui aurait pu le rendre heureux, celle dont les seins et la croupe n’ont cessé de le hanter, dont il n’a pas suffisamment joui. Avant de mourir, il écrit et se retourne sur sa vie d’éleveur de moutons dans l’Islande battue par les vents glacés, sa vie d’époux d’une femme qui a renoncé à lui sur le plan charnel quand, après une opération, elle est devenue une « brebis stérile juste bonne à abattre » selon ses propres mots.

Par une courte journée d’hiver au ciel rougeoyant, Bjarni va chez Helga avec un bélier de bonne race et bon reproducteur qui doit féconder les brebis. Après les saillies, alors qu’il palpait les cuisses des brebis pour s’assurer qu’elles étaient grasses et bien nourries, Helga lui dit qu’il est un expert palpeur et l’invite à exercer ses talents sur son sein lourd et gonflé… Submergé par le désir, il sort pour se « rafraichir au vent du nord » et erre « comme un vieux bélier arraché à sa brebis dans le feu de l’action ».

Toute cette lettre, donc toute la vie de son auteur, est marquée par cette scène et toutes les frustrations qu’elle engendre. Elle est la longue plainte d’une vie ratée, de retrouvailles à contre-courant, de désirs inassouvis ou tellement peu, alors que, loin d’éteindre les braises tourmentées du désir, les polaires vents islandais et l’océan glacé ne font que les attiser, renforcé encore « par ces êtres surnaturels qui hantent les falaises islandaises et épient ces malheureux humains ». Quelque temps après, «  au début des beaux jours », alors que le mari d’Helga, « était parti dresser des chevaux dans le nord du pays et que ses enfants étaient en pension », Bjarni revient chez elle pour un soin contre la gale des moutons « à base d’urine de mouton, d’algues, de cendres de bois, additionnée de bitume, de pisse humaine, et de quelques feuilles de tabac ». Sur une meule de foin, ils font l’amour. Il a pu « glisser un œil par l’embrasure du paradis ». « L’année suivante fut la plus merveilleuse de toute mon existence » affirme-t-il. Entre un cadavre disparu et les concours de bélier, pêche au lump pour le caviar et capture de phoques au filet, tout sourit pour le couple qui peut souvent se retrouver. Et se demande s’ils ne vont pas « partir ensemble et dire adieu à cette contrée ».

Cette année de bonheur se dissous quand Helga est enceinte. Elle veut qu’ils partent ensemble à Reykjavik. Lui, indéracinable éleveur de moutons, refuse. Ils restent, mais sous la fable cruelle que l’enfant de Bjarni est l’enfant de son mari, Hallgrimur. « Tu savais que cet enfant était de moi, mais personne ne le saurai. Désormais, c’en était fini de notre relation. Plus jamais nous deux. Une fin de soirée à la porte de la grange, et puis, plus rien entre nous» (page 69).

C’est l’époque des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki ; de l’Islande occupée par les Américains sous le manteau de l’indépendance ; le début de la modernité avec l’apparition du téléphone et du poste de TSF. Puis de la télévision. Et Bjarni de se répéter que c’est lui qui n’avait pas eu le choix. L’amour, le désir, le désespoir ? « Je te le dis du fond du cœur, ma Belle, je ne suis plus qu’une vieille bûche vermoulue et pourrie gisant sur le rivage du temps, d’où le ressac m’emportera bientôt. Et nul ne pleurera ma disparition. C’est bien vrai ce que disaient les anciens : on devient lâche en vieillissant. ». Une agnelle fait les frais de son désir. Et il se jette par-dessus le bord de sa barque, dans la mer.

La vie a encore quelque chose à lui dire. Un autre échec. L’alcool… Arrive une lettre de Helga. A laquelle il répond, trop tard, beaucoup trop tard…

Ce livre est donc avant tout une histoire d’amour terrible, de passion autour de rêves brulants et vains, de désir exacerbé par la frustration, de souvenirs intenses et fugaces, d’amertume engrangée au fur et à mesure des années. C’est aussi un beau chant d’amour à l’Islande encore rurale de l’après-guerre, entre l’élevage du mouton et la mer toujours proche, même si ce livre ne l’évoque que rarement. Ce livre est plus minéral que maritime. Il est écrit sans lyrisme infondé, avec l’émotion au bord des lettres, d’autant plus intense qu’il est court, tranchant, vif et dur, sans chercher d’interprétation hypothétique des comportements, laissant à chaque personnage sa part de mystère, sa part d’humanité indéchiffrable.

Un roman d’amour où le chaud et le froid ne s’annulent pas mais se consument ensemble comme la lave des volcans s’ébouillante en fumée au contact glacé de la mer d’Islande.

[ Ce texte reprend les principaux thèmes évoqués lors de la présentation que j’en ai faite au cours du 7ème festival du livre de Plourivo, le samedi 5 mars 2016. ]

Bergsveinn Birgisson  (photo La Presse d'Armor)
Bergsveinn Birgisson (photo La Presse d’Armor)

 

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