Encore la littérature haïtienne, cette fois-ci avec Yanick Lahens, qui a reçu le Prix Femina 2014 avec la magnifique chronique historique et familiale Bain de lune. Guillaume et Nathalie a été publié une année auparavant.
Une nuit de décembre 2009, une nuit d’amour, la première entre Guillaume et Nathalie. En contrebas, Port-au-Prince, « un mirage dans ce crépuscule ». Deux corps qui se désirent, se découvrent, se cherchent, s’enflamment, se consument, s’alanguissent… Et « une fleur noire » que Nathalie regarde au fond d’elle-même.
Nathalie Dubois et Guillaume Jean-François travaillent sur le même projet, un centre polyvalent ouvert aux associations, à Léogâne, près de Port-au-Prince. Elle est architecte et porte le projet, lui est sociologue. Ils se jaugent au fur et à mesure de l’avancement du projet et de ses embardées. Ils sont haïtiens tous les deux, noirs de peau, elle plus claire que lui. Ils sont de la classe moyenne, à l’abri du besoin. Ils travaillent avec ces nombreuses organisations humanitaires qui occupent leur pays – on retrouve une des préoccupations de Lyonel Trouillot. Ils sont de cette île qu’ils disent maudite. Pourtant, elle y est revenue, après un long moment passé en France. Pourtant, lui ne rejoindra pas sa femme et ses enfants partis vivre au Canada.
Le récit suit le charme qui se développe peu à peu entre eux d’eux, alors que s’enchainent réunions et visites de travaux en cours. En contrepoint, des souvenirs de la jeunesse de Nathalie, son ami Antoine qui lui apprend la photographie et amoureux d’un jeune peintre, Mirvil, aux allures de Basquiat. A eux trois, ils forment « un trio étrange et burlesque, mal assorti et impudique aux yeux des jeunes garçons que Nathalie fréquentait auparavant. » Antoine est « fauché en plein midi. La mort l’attrapa au vol. » Peu de temps après, la famille Dubois reçut « la visite d’intrus encagoulés, arme au poing. La visite ne s’acheva pas dans le sang d’une tragédie. Mais ce fut tout comme. » Nathalie, ses parents et ses deux sœurs quittent l’île.
Le projet soutenu par Nathalie est accepté. L’attirance réciproque entre elle et Guillaume est renforcée par cette victoire commune. Ils la célèbrent au restaurant. Ils se retrouvent chez elle pour cette première nuit d’amour du début du livre. Avec cette fleur noire que Nathalie regarde fixement. Dont elle finira par lever le secret.
Quelques jours après, le 12 janvier 2010, « Port-au-Prince a été chevauchée moins de quarante secondes par un de ses dieux dont on dit qu’ils se repaissent de chair et de sang. » Plus de 230 000 morts et de 2 millions de sans-abri.
En refermant ce livre sur cette dernière phrase, on comprend que Guillaume et Nathalie n’est pas qu’un très beau roman d’amour, où les jeux de la séduction, les surprises de l’émotion, les abîmes du plaisir s’enflamment sous la plume ardente de Yanick Lahens. Dès le début du récit, les deux amants ne sont pas enfermés dans une bulle. Ils sont haïtiens, ayant fui leur île, l’ayant retrouvé. Ils la traversent, s’y cognent, s’en protègent, y habitent pour la servir autant qu’en jouir. Cette île qui aurait pu être bénie des dieux si ce n’étaient les catastrophes naturelles, une histoire assise sur le colonialisme et la dictature sous toutes leurs formes. Cette île imbibée d’une culture si spécifique, véritable résilience de ce peuple dont les libérateurs se transforment en dictateurs sous l’œil attentif de son puissant voisin. Cette île où l’amour ne cesse de frôler la mort, où le sexe est omniprésent dans toute sa splendeur et toute sa misère. Cette île dont le chaos est la colonne vertébrale.
Est-ce pour cela que Haïti s’illumine d’une littérature comme d’une arme contre tous les zombies ?
Est-ce pour cela que Haïti s’illumine d’une littérature comme d’une arme contre tous les zombies ? Guillaume et Nathalie en est un remarquable exemple avec l’écriture de Yanick Lahens, sensible comme un sismomètre.
Si tu veux vraiment mourir
commence par te taire.
Mais si tu veux vivre
parle
parle plus fort que le fracas de ton corps.
Ultravocale – Frankétienne (né en 1936 – père toujours vaillant de la littérature haïtienne)

je vois que tu deviens féru de littérature haïtienne. Au passage, vient de paraître une belle anthologie de la poésie haïtienne contemporaine (ed. Points). J’ai rencontré Yanick Lahens à Grenoble pour la sortie de « Bain de lune », je l’avais trouvée bien sympathique mais bien pessimiste sur l’avenir de son pays, hélas… Haïti, on en parle mais si on faisait autant que l’on en parle, cela irait mieux pour l’île et ses habitants. Je ne sais pas si tu as commenté le livre de Laurent Gaudé, il est très beau aussi. Autre livre où il est question d’Haïti (j’en parlerai bientôt sur mon blog), l’extraordinaire roman de Bob Shacochis: « La femme qui avait perdu son âme ».
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