L’Orangeraie – Larry Tremblay – (La Table Ronde – 2015)

003349683Sans l’avis de Sorj Chalandon sur la quatrième page, aurais-je ouvert L’Orangeraie de l’écrivain québécois Larry Tremblay ?

Aziz et Amed sont jumeaux, encore enfants. Une bombe vient de déchiqueter leurs grands-parents, quelque part dans des montagnes situées dans le Moyen-Orient en guerre, là où la famille cultive une orangeraie. Quelques jours avant, Aziz revenait avec Zahed, son père, de l’hôpital où une maladie grave avait été diagnostiquée. Quelques jours après, un homme à la mitraillette déposait une ceinture à explosifs pour venger les grands-parents tués sous les bombes. Qui portera la ceinture et se fera exploser, devenant ainsi un héros promis au paradis éternel ? Le père désigne Amed. Mais Tamara, la mère, – figure romanesque profonde et précieuse – refuse que ses deux enfants meurent, l’un du cancer, l’autre en se faisant exploser. Ce sera Aziz qui partira, sous le nom d’Amed.

Quelques années plus tard, Aziz (lequel ?) suit des cours de théâtre dans un pays en paix, à Montréal ou à Québec, la ville n’est pas nommée. Il doit jouer dans une pièce dénonçant l’absurdité de la guerre. Aziz n’y parvient pas et explique à son professeur les raisons de ses difficultés. Il surgira sur scène, avec de la paix dans ses mots.

L’Orangeraie » n’est pas qu’un nième livre sur l’absurdité de la guerre, sur la cruauté humaine, sur l’enfance manipulée et exploitée à l’extrême, thèmes chers à Sorj Chalandon, ce qui explique son appel à lire « L’Orangeraie ». Il est bien davantage grâce à l’écriture de Larry Tremblay, son économie de mots, ses phrases courtes et sèches quand il s’agit de violence, ses phrases courtes et tendres quand il s’agit de l’enfance. Il donne à son livre une acuité comme celle de l’air vide juste avant une explosion, une douceur flagellée comme celle d’une mère qui perd ses enfants, une détresse insondable mais sous contrôle comme celle d’Aziz qui surmonte son mutisme.

Grâce aux dialogues, dans toute leur simplicité et leur violence sous-jacente, ce livre se dote d’une force considérable et n’élude pas la complexité de la situation. Sous l’éloquence du commanditaire de l’attentat, la sérénité de l’orangeraie se disloque, l’innocence, celle de l’enfance, est assassinée. Dans cette histoire de gémellité récréée, célébrée, bafouée, plusieurs voix où se répondent plusieurs êtres, des milliers d’êtres se croisent et se contredisent pour tenter de chercher une paix parfois rêvée mais toujours inaccessible.

Pourtant, ce livre « brutal, habité, hanté », comme le souligne Sorj Chalandon, se termine par ces phrases où la paix le dispute aux larmes « Et mon cœur est cassé comme un caillou. Et je pleure des larmes qui me déchirent le visage. Mais, comme tu le constates, j’ai une voix calme. Mieux encore, j’ai une voix paisible. Je te parle avec de la paix dans ma bouche. Je te parle avec de la paix dans les mots, dans mes phrases. Je te parle avec une voix qui a sept ans, vingt ans, mille ans. L’entends- tu ? ».

L’Orangeraie est un violent et bel hymne à la paix.

Larry Tremblay
Larry Tremblay

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