L’auteur haïtien Lyonel Trouillot est un peu moins connu que son compatriote et désormais Académicien français, Dany Laferrière. Il mérite pourtant amplement une visibilité au moins équivalente. La lecture de Yanvalou pour Charlie devrait décider celles et ceux qui hésitent à rentrer dans son œuvre foisonnante.
Le premier personnage qui prend la parole ne semble pas particulièrement sympathique : il s’appelle Mathurin, jeune avocat d’affaires ambitieux qui a toujours joué pour lui depuis qu’il a quitté le village natal. Jusqu’au jour où un adolescent maigre et hirsute fait son irruption dans le cabinet d’affaires où il travaille en lui demandant « C’est toi, Dieutor ? ». Dieutor, le prénom de son enfance qu’il a fui à l’âge de quinze ans, malgré son amour de jeunesse, Anne. L’adolescent maigre et hirsute, c’est Charlie, gamin en cavale venant du même village …
Trois autres voix succèdent à celle de Mathurin, alias Dieutor. Celle de Charlie qui parle des heures et des heures, une semaine entière racontant son enfance misérable de demi-orphelin, de sa sœur (ou sa mère ?) qui a une cicatrice sur sa joue gauche qui lui couvre une partie de visage ; du Centre où le père Edmond, le prêtre du village, le recueille ; de ses amis, Filodor, Gino, et surtout Nathanaël dont « la tête travaille en permanence à chercher de nouvelles idées ». Cela finit par des « maux de têtes » (page 67). Et qui « sait ce qu’il veut quand il sera adulte. Un monde où tout va bien. Une étoile pour chaque vivant »(page 85). Nathanaël « devient militant. Militant amoureux d’une fille qui ne l’aime pas. » (page 93). Et « il fréquente des lettrés qui (…) discutent beaucoup. Des armes pour foutre le bordel. Mort aux exploiteurs. (page 96). Mais il faut de l’argent. Combines et petites filouteries permettent de constituer un petit pécule. Un chef d’entreprise est assassiné. Le groupe est soupçonné. Et doit quitter le Centre.
Deux autres monologues poursuivent le récit, un coup de feu qui part, puis un deuxième. Un corps sans vie porté à bout de bras. Pour Charlie reste le yanvalou, cette danse à tempo lent pour saluer la terre ancestrale… Et Mathurin ne sait plus s’il est Dieutor.
Dans ce livre, les plus optimistes pourront y voir la voie de la rédemption, celle de Mathurin qui accepte son côté Dieutor, celui qui le relie à la terre. Les plus pessimistes y verront la poursuite inéluctable d’une trajectoire tragique et fatale de destinées disparates sur une île dépecée par une caste arrogante, violente et avide, toujours protégée par le puissant voisin américain. Dans ce contexte dont on n’a l’impression que jamais Haïti ne pourra sortir, Lyonel Trouillot met son art de l’écriture au service, non pas simplement d’une cause du combat contre la misère et l’injustice, mais de la vie chaque fois bafouée et renouvelée au son de la musique et des cultes vaudous.
C’est du grand art.
Et Lyonnel Trouillot est un auteur généreux, à lire et à relire.
