Le ravin de la femme sauvage – Leïla Sebbar (Editions Thierry Magnier – 2007)

Le Ravin de la femme sauvageJ’avais déjà lu Le ravin de la femme sauvage au moment de sa sortie et me rappelle qu’il m’avait enthousiasmé. A l’occasion d’une récente « Rencontre autour des livres » consacrée à la littérature arabo-musulmane organisée par Les amis de la bibliothèque de Pléhédel, je l’ai relu et retrouvé mon enthousiasme intact, voire plus.

Il s’agit d’un recueil de neuf nouvelles d’une dizaine de pages chacune. Ce sont des paroles de femmes d’Algérie – le pays natal de Leïla Sebbar – enjambant plusieurs années entre la guerre d’indépendance et la décennie noire des années 90, des paroles venant également de France, de Thaïlande, et aussi de Bosnie, seul cas où c’est un homme qui parle, un soldat. Ce n’est pas dans une narration linéaire que le lecteur est invité à plonger, mais dans des pensées, émotions et réactions, avec tout ce qu’il y a de mobile, de fluctuant, de coupant, d’inattendu. Cela donne une prose hachée, rythmée, à lisière de la poésie, de l’incantation, avec le regard fixé sur la violence qui brise les rêves, sur la mort qui fige l’amour, sur le temps qui étiole ou ravive les souvenirs. Et le bruit des autres, familial, amical, amoureux, ou ennemi, violent, guerrier. Le massacre des moines de Tibhirine est évoqué, ainsi que le génocide perpétré par les Khmers rouges, la guerre « ethnique » en Bosnie…

Ces paroles forment ensemble un langage multiple qui explore l’espace et le temps, à travers ces neuf nouvelles émaillées de légendes comme celle de cette femme sauvage qui ne cesse, du fond de son ravin, de crier sa détresse d’avoir perdu ses enfants. Elles sont  le reflet de la violence humaine. Celle de cette Madam qui frappe la négresse (c’est ainsi qu’elle est nommée dans le livre) qui garde son enfant ; celle de ce policier qui tire sur un enfant qui le menaçait juste avec une fronde ; celle de ces soldats de l’ONU qui paient des fillettes cambodgiennes pour les baiser… Que dire aussi de la disparition d’un fils promis à un bel avenir, aperçu par hasard sur un écran de télévision dans un maquis ?

Les héroïnes de ce livre sont les femmes : elles sont fortes parce que rebelles, elles cherchent à échapper à ce qui ne devrait pas être leur sort. Elles se battent, se révoltent. Même voilées, elles restent en éveil. Les hommes, quand ils vieillissent, s’abandonnent à leur solitude.

Le ravin de la femme sauvage est un livre exigeant. Il rappelle la faillibilité de la condition humaine, la force de l’attachement maternel, celle de la liberté à conquérir, celle de la violence qui défend ou qui tue. C’est un livre troublant, exceptionnellement bien écrit avec une langue aux multiples reflets. Un livre de femme forte. Et juste.

Leïla Sebbar (photo lepopulaire.fr)
Leïla Sebbar (photo lepopulaire.fr)

Le Ravin de la femme sauvage

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s