Qui ne s’est pas demandé, au moins une fois dans sa vie, ce qui allait se passer après sa mort ? Pour tenter de répondre à cette question métaphysique, Eric Chevillard propose un petit tour au ciel, dans les traces d’un certain Albert Moindre, spécialiste des ponts transbordeurs, passé dans l’au-delà à cause d’un choc violent avec une fourgonnette livrant des olives et des dattes.
Quel constat peut-il faire du néant dans lequel il est plongé ? Il n’est pas vide. Il va donc le visiter. Est-il au paradis ou en enfer ? Il ne mérite ni l’un, ni l’autre ; sa vie ayant été médiocre, son au-delà le sera aussi. Garde-t-il son sexe ? Sait-il enfin faire la roue ? De qui garde-t-il la mémoire ? Allait-il retrouver Palmyre, sa femme, Sidonie, sa fille ? Qu’importent qu’elles soient vivantes ou non, elles devraient être là puisque le Temps n’est censé ne plus exister dans l’au-delà…
Une porte s’ouvre : c’est « LE BUREAU DES ELUCIDATIONS – entrer sans frapper ». C’est là que tous les mystères de sa vie, petits et grands, sont élucidés. Il apprend ce qu’il ne peut savoir de son vivant sur des détails dont il ne se souciait guère ou pas du tout comme « la corpulente vieille dame qui vivait dans ton quartier et que tu appelais madame Mouillefarine pour amuser Sidonie se nommait en réalité Odette Brûlepain. ». Ou que son portefeuille n’avait pas été volé le 12 novembre 2011 à Rémilly-en-Montagne « mais qu’il était tombé de sa poche comme tu te penchais pour passer les barbelés d’une clôture ». Il apprend aussi ce que l’on disait derrière son dos ; on lui rappelle « le contenu du rêve érotique du 16 mars 1977 en conclusion duquel il salopa son pyjama et ses draps ce qui lui valut une gifle cuisante au réveil. » ». Il rencontre Clarisse qui vient d’apprendre qu’on lui a volé son titre de Miss Colorado 1931. Mais rien ne lui est expliqué au sujet des grandes énigmes de l’Univers, de l’Histoire ou de la Science… « Ces révélations seront faites après l’Apocalypse, lorsque la fiction de la vie matérielle et du monde physique aura pris fin, lorsque le récit sera achevé. »
Une autre porte s’ouvre sur un OBSERVATOIRE. Toujours accompagné de Clarisse, il peut voir « le monde dans toute sa magnificence, visible enfin dans son unité, comme un objet plein dont chaque partie hélas ment par omission et que l’on ne risque pas de saisir quand on se meut en surface. ». Il voit l’appartement en désordre de sa fille Sidonie. Il poursuit la revue en détail de la vie de ses amis et relations. Et de la sienne. Il contemple, désemparé, son corps transformé en cendres enfermées dans une urne funéraire. Il voit le tumulte sur la Terre venant de l’activité humaine. Il rencontre des morts antérieurs. Et des futurs morts qui viennent le rejoindre. Mais qu’importe, il ne se sent plus tellement concerné.
Pourtant, la porte suivante s’ouvre sur le SERVICE DES RECLAMATIONS. Le moment de poser des doléances précises auxquelles un épais silence répond. Réclamations contre l’insuccès de son livre, Les larmes d’Adèle, contre le chou rouge dont il a été gavé pendant ses années de pensionnat chez les Frères de l’ordre de Saint-Maxence, contre l’inévitable victoire des brutes, contre le désarroi de la vache qui n’a que ses cornes pour lutter contre la mouche… Vaines réclamations consciencieusement consignées. L’heure est-elle à la Grande Explication ?
Dernière étape, le SERVICE DES RETRIBUTIONS. Y a-t-il des récompenses, des sanctions ? Albert Moindre pense qu’on l’enfume, avec toute cette bureaucratie céleste. Tout est codé, noté, classé. Léonard de Vinci est devant Michel-Ange, eux-mêmes surpassés par Ernst Völop, auteurs de trois tableaux détruits dans l’incendie de son atelier en 1497. Mozart devance Beethoven, surclassés par un musicien touareg, Hataye, qui n’a pas noté ses compositions éphémères… Et Blaise Pascal est absent « Il a bien trompé son monde, celui-là ! ». Les poètes, les scientifiques sont notés et classés. Mais pas Pasteur, ni Fleming qui ont contribué à soulager la souffrance. « Pensez-vous que nous avons créé la souffrance humaine pour qu’elle soit soulagée ? Nous serions bien inconséquents ! » Et les animaux ? Tous « sont représentés, apaisés, sans férocité, sans appétit. » Et les arbres, les fleurs, les herbes…
« Mourrons-nous pour jouir d’une lucidité qui nous représente toute une existence comme un tissu de mensonges, une vaste duperie où chacun trompe chacun, où les affections et les alliances sont conçues pour rendre possible les trahisons consécutives ? »
Finalement, Albert Moindre retourne sur la Terre…
Avec un humour provocateur, Eric Chevillard décrit le ciel comme une bureaucratie toute puissante. De cet endroit fictif qui hante l’imaginaire de l’humanité, il interroge les hasards qui forment une destinée, laissant au libre-arbitre une place limitée, sans se donner le ton du moralisateur, encore moins de l’imprécateur mais de l’observateur désabusé et amusé.
