Les personnages apparaissent, progressivement, de page en page. Ce n’est pas un théâtre d’ombre. La lumière catalane veille.
Pere Català, navigateur, s’en va en solitaire sans chercher à battre un record ; Joaquin, journaliste pour un des quotidiens catalans ; Veronica, une jeune photographe ; Gavilàn, le vieux libraire. Et la statue de la Mercè, qui surplombe la ville… Barcelona !
Devant les yeux d’un couple français en vacances, un enfant est enlevé, enfermé dans le coffre d’une voiture.
Blanca choisit sa robe de mariée en compagnie de Nuria. Son amie et future belle-soeur, Begonya, arrive.
Damiàn, policier, découvre chez un « prêtre » pakistanais prostitué homosexuel un cadavre qui n’est pas mort tout seul.
Ce sont quelques-uns des personnages qui déboulent dans le roman, pris dans leurs activités diversement quotidiennes. Le kaléidoscope commence à fonctionner, mélangeant tout le monde un peu par hasard. La vie, intense et grouillante, varie entre panique et détente, confort et incertitude, solitude et solidarité. Et le Barça est là.
Ce livre n’est pas le récit d’un héros emblématique, c’est la très récente histoire d’une ville vivante et brillante, souffrante et haletante, rivée à la mer sans vraiment y faire face, liée à un pays dont elle voudrait se défaire. C’est l’histoire d’une ville qui, à la fin du XXème siècle, était devenue un mythe et une destination fantasmée ; qui, à l’orée du XXIème siècle, en plein rêve de puissance, de prospérité et d’indépendance, est bloquée dans son élan par une crise ravageuse. C’est l’histoire de quelques-unes et quelques-uns de ses habitants qui, au gré des évènements, rêvent, espèrent, se referment, se vengent, aiment et trahissent…
C’est l’un des grands plaisirs que donne la lecture de ce roman : son auteur, Georges Polet (Barcelona ! est le premier livre que je lis de lui), a ce talent assez rare dans la littérature française de raconter une histoire fleuve à plusieurs bras, où l’intrigue se développe, se travestit, s’évanouit et revient, éternel manège qui ne tournerait pas toujours à la même vitesse, mais sans cesser d’être contenu dans la cohérence de certains personnages emblématiques dont la trace imprime au roman toute sa dynamique. Pas seulement le Barça !
Cette vie intense trouve son ancrage dans le désir de Begonya de changer sa vie en la renversant ; trouve son côté trouble, voire maléfique dans la politique et l’exercice du pouvoir ; trouve son Eden quand Pere Català, le navigateur solitaire, s’arrête sur une île ; trouve sa logique quand, Hans, géant blond bardé de réussite, devient une sorte de guérisseur aux médecines douces ; trouve son aboutissement chez des plus vieux qui restent accrochés à leur sort…
Cette liste est loin d’être exhaustive : Barcelona ! multiplie les destins où les pas de côté brouillent les droites lignes d’une vie déjà jouée d’avance. Parfois, l’auteur enchaine des croquis les uns derrière les autres comme dans ces grands travellings de cinéma qui, en continu, lient un ensemble de scènes disparates, réunies dans la fluidité d’un style qui devient panoramique…
Tout cela dans l’écrin de cette ville qui ne scintille pas toujours, qui parfois, la nuit, « sort du sol, s’élève, grise et sale, murs de poussière, odeur de cave. » (page 167), pas toujours belle quand elle n’est que « monotone répétition du même, indifférente succession de murs verticaux et de poutrelles horizontales. » (page 317-8), avec ses emblématiques « tours de la Sagrada Familia, comme des fuseaux et faites, comme les temples de Grecs, pour être vues depuis la mer » (page 478), Cette ville dont le Barça est roi, surtout quand il gagne devant le Real Madrid, 2 à 6 ! Cette ville qui dévisse, comme toutes celles de la péninsule ibérique, et ailleurs …
Dans cette ville, Begonya ! Son père n’est rien moins que le Président de la Generalidad de Catalogne. Elle prend le large par rapport à son milieu bourgeois et arriviste à la suite d’un vol dans son appartement. Elle travaille chez une fleuriste, tombe amoureuse d’un bel Africain et, avec lui, rassemble un groupe de plus en plus important qui ressemble aux Indignés de Madrid. Les rêves s’échafaudent et veulent se concrétiser dans l’utopie d’une société dont l’argent est banni. Mais le piège se referme sur ce rêve…
C’est sur le retour de Pere Català, le navigateur solitaire, que se termine ce beau livre à déguster ou à dévorer. Comme la tortilla dont vous trouverez la recette en page 214/215 !
