Georges Picard n’est pas un ambitieux, du moins dans l’acception habituelle du terme. Depuis une vingtaine d’années, il publie des livres jamais épais, à l’esprit délié, bourrés de fantaisies et d’anticonformisme. Il est un Philosophe facétieux, titre d’un de ses livres qui date de 2008. Pourtant, il ne fut pas toujours un spectateur amusé et critique de notre temps. Il fut aussi révolutionnaire à vingt ans, puis journaliste pour la revue 60 millions de consommateurs. Il a choisi maintenant de marcher, lire et écrire.
Son dernier livre, Merci aux ambitieux de s’occuper du monde à ma place, prend la forme d’une lettre qu’il adresse à un ami perdu de vue, son double ? Il se décrit comme « comme un esprit anxieux, ce qui est une façon plate de dire profond. Pour moi, profond définit moins une qualité objective qu’une persévérance à imaginer derrière toute chose, une autre chose de plus fondamental. » S’en suit une description au scalpel de notre temps. Évidemment, un certain monde des médias en prend plein la tronche. « (…) la déchéance cathodique est depuis longtemps la forme la plus spectaculaire de la connerie enivrée d’elle-même ». Le mythe de l’amélioration lente mais inexorable de l’humanité est balayé : « (…) l’être humain ne tend pas vers l’amélioration intellectuelle et morale. Du reste, c’est sa médiocrité et ses faux-pas qui nous intéressent, qui nous excitent(…) ». L’individu vieillissant n’est guère brillant. « On a besoin de convictions fortes pour se propulser vers la maturité ; plus tard on comprend qu’elles limitent notre imagination. La répétition des opinons personnelles racornit l’esprit jusqu’à le réduire à une mastication laborieuse de poncifs. ».
Georges Picard doute de tout et de son contraire. « Les types comme toi ou moi ont intérêt à se méfier autant de leurs certitudes que de leurs doutes. ». Il décrit ses années révolutionnaires comme « deux ans de forçage. (…) On y voit la propension de l’individu au masochisme intellectuel et sa capacité à adhérer à des systèmes d’idées qui le protègent contre l’angoisse ne n’être que lui-même.»… Finis les engagements collectifs, il ne croit plus qu’à l’individualité. Picard serait-il le petit frère de Cioran, plus sceptique que désespéré ?
Il se décrit lui-même comme « instable ou capricieux ». Ce ne sont pas ses humeurs dont il s’agit, mais ses réflexions au gré de ses marches autour d’un village beauceron. Il bougonne contre ses deux ennemis récurrents, « un certain Jean-Foutre, agriculteur à la retraite, bouffeurs de noirs et d’arabes, toujours débraillé, le bout sale de chemise au vent, ventru et généralement aviné, qui mourra de rage ou d’apoplexie » et « Connard Fini, fonctionnaire local dont le passe-temps préféré consiste à menacer ce qu’il appelle ses administrés en les bombardant de mises en demeure sadiques à propos de tout et de rien. ». Picard deviendrait-il un double de Houellebecq, contempteur inlassable de notre société ?
Il poursuit son récit, avec humour et légèreté qui mènent droit vers la profondeur de son propos. Il ne se croit pas détenteur d’une quelconque vérité, mais exerce son droit de retrait d’une société devenue trop compliquée, trop injuste, trop brouillée.
Le livre évolue quand Isa, la compagne de l’auteur, journaliste dans un quotidien local, enquête au sujet de malversations et corruptions assez communes dans notre belle France et finit par démasquer les coupables. Picard, finalement, a délégué son militantisme évanoui à sa femme et s’en réjouit.
Cela lui permet de rester ce plaisantin intelligent, pétillant, rétif à tout embrigadement, observateur sévère ou amusé d’un théâtre dont il a quitté la scène depuis longtemps. Avec l’âge, on est « réduit à habiller nos doutes et nos angoisses de considérations invérifiables. »
Le doute est un regard indispensable par les temps qui courent. Par tous les temps, d’ailleurs. Les considérations invérifiables sont les empreintes des rêves de notre jeunesse.
Jubilatoire, à priori, la venue d’un Mr Cyclopède de la Beauce tant nécessaire, (ceci écrit seulement après lecture du titre et de l’article).
Dans l’immédiat ne suis certain de rien mais il est vrai que l’on se délecte d’avance de la lecture savoureuse du bouquin.
Pour reprendre un titre de livre de Pierre Desproges, à cet instant, « la seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute ».
Des minutes nécessaires de lecture certainement pour se nettoyer en profondeur des couches de prêt à penser dont on nous enduit quotidiennement.
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