Dernières nouvelles du martin-pêcheur – Bernard Chambaz (Flammarion)

Dernières nouvelles du martin-pêcheurDe Bernard Chambaz, j’avais lu Martin, cet été (Julliard), livre écrit après la mort de son fils âgé de seize ans à la suite d’un accident en Angleterre. C’est l’un des plus bouleversants livres sur la douleur que j’ai lu presque d’une traite, le ventre vrillé. Depuis, Bernard Chambaz a poursuivi une carrière d’écrivain romancier, essayiste, poète, sans jamais revenir directement sur la mort de Martin. «  Depuis 19 ans, à part des poèmes dont le moteur consistait à donner d’improbables nouvelles de Martin, je n’ai écrit que de biais à ce « sujet », mais je n’ai pas écrit de livre sans qu’il en « soit ». Aujourd’hui, j’y reviens de front, sur la route. La marche à pied ou n’importe quel véhicule aurait fait l’affaire. Mais si je suis à vélo, il doit bien y avoir une raison » (page 16) Cela donne Dernières nouvelles du martin-pêcheur (Flammarion) publié en janvier 2014.

L’auteur traverse les Etats-Unis à vélo d’Est en Ouest, accompagné en voiture par sa femme, Anne, à la recherche, à la poursuite de Martin qu’ils espèrent retrouver de place en place en des apparitions aussi fulgurantes que ces vols de martin-pêcheurs filant d’une traite au-dessus des étangs. Mais ce qui aurait pu n’être qu’un road-movie trempé dans le chagrin et la nostalgie, se mue en une étrange balade mêlant descriptions minutieuses des lieux traversés, depuis les cours d’eau et les montagnes jusqu’aux hôtels plus ou moins pouilleux où ils font étape, les rencontres, le plus souvent rapides, avec des Américains surpris et curieux par ces étranges voyageurs, les sensations du cycliste par tous les temps décrites avec une précision d’entomologiste, des moments liés à la mythologie américaine comme un match de base-ball …, tout un patchwork d’émotions diverses ponctuées par quelques apparitions hallucinatoires de Martin à plusieurs âges de la vie qu’il n’a pas eu. Insérés dans cette pérégrination, on trouve des chapitres fouillés au sujet de certains personnages importants de l’histoire de Etats-Unis, Theodore Roosevelt, les époux Lindbergh, Abraham Lincoln, dont le point commun est qu’ils ont tous perdus au moins un enfant jeune. Et d’autres épisodes tragiques, comme une exécution d’un jeune noir de seize ans accusé d’avoir assassiné une fillette de onze ans, donnant une image terrifiante d’une des parts les plus sombres de l’histoire américaine.

La cohérence de ce livre n’est pourtant pas dans le malheur et la tragédie. Elle est dans le dépassement du malheur et de la tragédie, comme ces endomorphines qui jouent à plein pour transformer l’effort pénible du cycliste en une allégresse libératrice. Ce qui pourrait n’être qu’un retour morbide sur une tragédie datant de presque vingt ans, Bernard Chambaz le transforme en joie. « La joie est ce sentiment qui accompagne en nous une expansion de notre puissance d’exister et d’agir ; elle est un plaisir, en mouvement et en acte, d’exister davantage et mieux. Et je comprends l’allégresse comme la joie d’être joyeux. » (page 253). Cette Joie que Spinoza définit « comme une passion par laquelle l’Âme passe à une perfection plus grande » (page 261).

En traversant à vélo des Etats-Unis d’est en ouest en souvenir d’un mort, Bernard Chambaz chemine, non vers le bonheur – je ne crois pas que ce mot soit écrit. -, mais vers la joie, comme celle procurée par la vision de l’herbe douce d’une prairie.
A l’est étaient
Les rois morts et le souvenir des sépultures,
A l’ouest était l’herbe.
(page 314)

Un livre joyeux à lire…

Bernard Chambaz (photo "Le Monde")
Bernard Chambaz (photo « Le Monde »)

2 commentaires sur “Dernières nouvelles du martin-pêcheur – Bernard Chambaz (Flammarion)

  1. je suis content de lire ton commentaire sur ce livre, car a priori, lorsque je l’avais feuilleté en librairie, il m’était apparu suspect d’obsession mortifère, mais puisque tu dis qu’on y trouve la joie, c’est merveilleux, il faudra que je le lise!

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    1. Alors que son premier livre sur Martin était tout entier dans la douleur, celui-là est profondément différent. Il frôle parfois l’insignifiance dans sa description de son périple vélocipédique. Et reporte son obsession mortifère sur les personnages de l’histoire américaine qu’il évoque : une façon de la mettre à distance.

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