Après « Le Charme des après-midi sans fin » qui évoque l’enfance de Dany Laferrière et « Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ? », où l’auteur recherche sa vraie nature américaine en se confrontant aux Etats-Unis, j’ai lu « La Chair du maître », apparente chronique de la jeunesse haïtienne sous le poids d’une pauvreté asphyxiante et d’une dictature sanguinaire.
Jeunesse et adolescence sont incarnées par de nombreux personnages croqués avec la verve colorée qui fait la marque de l’écriture de Dany Laferrière. Ces personnages jouent la pièce de théâtre éternelle du désir et du sexe, avec une sorte de voracité très généreusement décrite par l’auteur. Amateurs de bluette sentimentale, passez votre chemin ! Les filles veulent les garçons, les garçons veulent les filles sans passer par la stratégie de la romance, mais bien davantage par la tactique de la chasse, chacune et chacun étant tour à tour prédatrice et prédateur. « La chasse à la jeune fille : un art de haut vol. J’entre dans un bar. Je me place dans un angle stratégique afin de repérer ma proie. L’araignée cannibale. » (page 288).

S’invitent aussi au banquet du sexe, des femmes occidentales d’un certain âge, à la recherche d’un orgasme hors du commun, leurs compagnons ayant depuis longtemps déserté le ring : ainsi, Becky qui « pense que tout la sépare de John (son mari) mais que tout la relie à cet homme dont elle ignore même le nom (un pêcheur aperçu sur la plage).» (page 121).
[ Dany Lafferrière reprendra ce thème dans son roman ‘Vers le sud » adapté au cinéma par Laurent Cantet, avec l’impériale fragilité de Charlotte Rampling.]
Cette effervescence orgasmique se développe sous le joug d’une dictature qui l’utilise à son profit ou en est parfois victime, dictature contre laquelle essaient de lutter des militants « encore plus paranoïaques que les militaires. » (page 196). C’est dire…
La fascination pour l’orgasme féminin, grande obsession masculine, traverse tout le livre. Qui se termine par une scène hallucinée se déroulant au XIXème siècle, de la fille d’un maître désirant un esclave noir. En séduisant cet esclave, en le violant presque, cette jeune fille blanche venant de la classe dominante veut assouvir « le furieux désir de la chair du maître » (page 367). Le désir, le sexe peuvent-ils entrainer le renversement des hiérarchies sociales ?
Finalement, le sujet du livre n’est pas la fébrilité sexuelle de la jeunesse. Il pose des questions plus déstabilisantes : le désir peut-il être plus fort que le clivage social ? Ou en est-il simplement un leurre ?
En tous cas, « le désir a toujours été le moteur de l’histoire. » (dernière page)…