Les douze tribus d’Hattie – Ayana Mathis (Gallmeister)

Les douze tribus d'Hattie - Ayana Mathis1925. Hattie, jeune Noire américaine de dix-sept ans, vient d’avoir des jumeaux. Originaires de Géorgie, elle et son mari, August, ont migré dans la banlieue de Philadelphie. Elle dorlote ses enfants pour les endormir. Ils mourront brûlants de fièvre dans ses bras. Hattie aura dix autres enfants et vivra plus de 75 ans sous la sombre lueur de ses deux nouveaux-nés disparus.

Les douze tribus d’Hattie sont ses douze enfants. Chaque chapitre évoque un de ses enfants au fil du temps de 1925 à 1980. Au travers de ces histoires singulières et ces destinées cabossées, Ayana Mathis brosse un tableau à la fois limpide et tourmenté de la vie des Noirs américains tout au long du XXème. Son livre est une sombre et vivante chronique de l’évolution chaotique de la condition des Noirs aux Etats-Unis. Bien sûr, le racisme des blancs est maintes fois dénoncé, racisme institutionnalisé dans les lois et les coutumes, racisme inscrit dans les habitudes, les brimades, les exclusions, gravé dans l’évidence qu’il se forge lui-même d’être « naturel ».  Les relations à l’intérieur même de la communauté noire sont aussi scrutées, teintées elles-mêmes de racisme en faveur du plus clair, de fatalisme, de piété superstitieuse, de machisme exacerbé…

La narration du livre est fragmentée en chapitres consacrés directement ou indirectement à l’un des enfants d’Hattie et évoquant certaines périodes charnières des membres de sa famille. C’est une plongée abrupte dans la complexité des relations familiales, avec, comme centre de gravité, la mère, Hattie, qui fait tout pour permettre à ses enfants de vivre au mieux mais ne leur sourit plus jamais à ses enfants.  « Il y a toujours quelqu’un qui attend quelque chose de moi. (…) Ils me dévoreront vivante » (page 132).

De quoi est faite cette famille éclatée, mais forcément liée à cette mère qui assume tout en sachant l’injustice profonde qui la poursuit toute sa vie faite de labeurs quotidiens pour tenter de survivre dignement ou non.
Il y a Floyd, jeune trompettiste coureur frénétique de jupons, qui découvre avec frayeur qu’il est aussi attiré par le corps d’autres garçons.
Il y a Six, doué d’un curieux pouvoir de prêcheur dans des offices religieux qu’il est parfaitement incapable de contrôler et d’en connaître l’origine.
Il y a Ruthie, la fille qui n’est pas d’August mais de Lawrence, avec qui Hattie est tentée de partir mais qui revient à contrecœur ; Ruthie redevient Margaret, le prénom officiel donné par August.
Il y a Ella, la fille que Hattie, qui peine à donner de quoi manger à toute sa famille, refuse de donner à sa sœur Pearl qui est stérile. Et pourtant…
Il y a Alice et Billups, Franklin le soldat perdu au Vietnam, Bell qui a aimé le même homme que sa mère, Cassie aux prises avec des démons intérieurs, Sala, la fille de Cassie, qui célèbre sa communion au cours de laquelle Hattie, grand-mère fera un geste d’une liberté absolue…

C’est ce geste qui clôt le livre, sur Hattie résistante, subversive, fière…

Chronique familiale, fresque sociale, témoignage historique, ce livre est magnifique, non seulement à cause de ses récits foisonnants, inattendus et donnant à réfléchir mais aussi par sa grande richesse de styles, de narrations, d’approches des êtres, des lieux et du temps. ayana-matthisAvec ses douze tableaux qui forment une fresque imposante et subtile, Ayana Mathis fait preuve d’une maitrise qui fait oublier qu’il s’agit de son premier roman. Oprah Winfrey, la célèbre et toute puissante productrice de talk-shows américains, l’a comparée à la Prix Nobel Toni Morrison, « dont les mots sont à la fois  un phare et une ancre, et dont l’œuvre a ouvert une voie pour tous » comme le note Ayana Mathis dans ses remerciements en fin d’ouvrage.

Avec Ayana Mathis, la littérature noire américaine a de très beaux jours devant elle.

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