La Bretagne souffre, la Bretagne en feu. La Bretagne fait les gros titres de l’actualité ces derniers temps : licenciements en rafales dans l’agro-alimentaire, fermeture du site d’Alcatel-Lucent à Rennes, protestations contre l’Ecotaxe…
Y a-t-il quelque chose de spécifiquement breton dans ces mauvaises nouvelles et les irruptions de colères qu’elles provoquent ?
A partir des années 60, le développement de la Bretagne s’est bâti sur trois piliers :
– une amélioration considérable des infrastructures routières,
– une modernisation à marche forcée de l’agriculture sur un sol peu fertile avec le remembrement, la mise en place des élevages hors-sol de volaille et de porc, l’implantation du maïs,
– l’industrialisation dans certains secteurs qui étaient de pointe à cette époque, l’agro-alimentaire et les télécoms, notamment autour du site de Pleumeur Bodou, et aussi dans l’industrie plus classique comme l’usine de construction automobile Citroën à Rennes, sans oublier le développement de l’industrie touristique.
Résultat : l’émigration massive vers la région parisienne s’est arrêtée. En quelques décennies, la Bretagne a perdu sa réputation de province pauvre, pour la troquer contre celle d’une région dynamique et innovante, qui joue résolument le jeu de d’Europe et de l’internationalisation. Encore maintenant, le taux de chômage y est inférieur à la moyenne nationale et celui de l’industrialisation, largement supérieur. En même temps, la Bretagne a su garder sa personnalité entretenue avec soin par un réseau très dense qui promeut, souvent avec panache, une culture fortement spécifique.
Mais maintenant, ce modèle de développement économique est à bout de souffle. Le pôle technologique autour de Pleumeur Bodou se délite et l’activité télécom de Lannion, la ville voisine, connait de gros problèmes. Signe qui ne trompe pas : il y a trois ans Air France a fermé sa ligne bi-quotidienne entre Lannion et Paris. L’industrie agro-alimentaire qui s’est bâtie sur un modèle de production de masse bas de gamme subit une crise grave de débouchés. Il y a deux ans, le groupe Doux, symbole de cette mondialisation conquérante, en inondant le monde de ses volailles sans goût et bon marché, a fait faillite. Cette année, c’est la filière porcine qui se désagrège avec la fermeture d’abattoirs mettant des centaines de personnes au chômage dans des régions qui n’ont guère d’autres activités économiques. L’effort sur les infrastructures routières ne s’est pas poursuivi : le réseau périphérique est saturé et la Bretagne intérieure reste très mal desservie. Le TGV s’arrête à Rennes et les projets de prolongation jusqu’à Brest et Quimper ont été suspendus. Il n’y a toujours pas d’aéroports de taille et le pitoyable épisode de celui de Notre-Dame des Landes semble remettre aux calendes bretonnes l’édification d’une plateforme aéroportuaire indispensable à une grande métropole régionale. (Je sais, Nantes ne fait pas partie de la région administrative Bretagne mais reste, sur certains points, la métropole de référence)
Pourquoi un tel échec ? Concernant l’agro-alimentaire, l’intégration dans l’ensemble européen et le positionnement sur le marché mondial a pu fonctionner tant que les différences de prix de revient restaient faibles. Mais depuis plus de vingt ans, la compétitivité de l’agro-alimentaire breton s’est dégradée. L’organisation de l’Europe agricole qui fait la part belle aux céréaliers, renchérit les prix de l’alimentation pour les animaux. La concurrence de pays émergents rend de plus en plus difficile l’accès au marché mondial.
L’espoir mis dans l’industrie des télécoms a fait long feu : les champions français en la matière (Alcatel, Sagem, etc) font piètre figure et réduisent fortement leur voilure. Quant à l’industrie automobile, on sait combien elle se porte mal en France.
A côté de ce constat, il y a aussi la prise de conscience depuis un certain temps des dégâts écologiques causés par ce type de développement moribond : les élevages intensifs porcins et aviaires ont des conséquences environnementales de plus en plus préoccupantes, médiatisées par l’apparition des algues vertes sur les côtes. Mais, beaucoup plus grave, l’eau du robinet hyper nitrée est devenue l’une des pires de France, tout en étant une des plus coûteuses à cause des sommes importantes consacrées à son traitement. Le remembrement, indispensable pour une modernisation de l’agriculture au milieu de XXème siècle a atteint ses limites. Et l’on cherche à grands frais à reconstituer des talus bretons pour empêcher les ravinements et protéger une flore nécessaire aux insectes, notamment, aux abeilles qui se font rares.
La crise en Bretagne n’a finalement rien de spécifique et illustre l’impasse dans laquelle la France est piégée.
Y a-t-il la place pour des solutions qui pourraient éclore en Bretagne dans un proche avenir ? Ou bien faut-il se résigner à un avenir où elle ne serait qu’un beau pays accueillant pour les tempes grises mais dont la jeunesse reprendrait le chemin de l’exode ?
A rebours de ce tableau pessimiste, il faut insister sur le très dense réseau d’associations et groupes divers cherchant à promouvoir de nouvelles solutions basées sur d’autres modèles de création de richesse basés sur des principes d’économie sociale et solidaire respectueuse de l’environnement. Les collectivités territoriales, souvent sensibles à ce nouveau discours, n’ont pas ou plus les moyens d’encourager vigoureusement cette mutation indispensable. Les élus locaux, majoritairement de gauche, et souvent écologistes, sont également conscients du défi. Mais tout cela reste marginal pour l’instant, très atomisé, et encore faible face aux représentants des forces économiques « traditionnelles » qui se mobilisent rapidement en faisant illico un chantage à l’emploi chaque fois que l’on remet en cause le modèle économique pourtant moribond.
Est-ce par une organisation de toutes ses structures éparpillées que l’on peut espérer un changement du logiciel de développement économique ? C’est plus que souhaitable. Faut-il encore que les militants de toutes ces structures soient capables d’un certain sens de l’organisation … et du compromis. Mais cela vaudrait le coup, d’autant que, depuis l’arrivée de François Hollande à la Présidence, la Bretagne – qui est une des places fortes du Parti Socialiste et où les Verts remportent souvent de bons scores – a placé de nombreux hommes et femmes politiques au cœur du pouvoir central parisien. Il y a deux mois, « M », le magazine hebdomadaire du « Monde » faisant sa couverture sur le « Breizh Power ». A quoi cela peut-il servir ? A distribuer des fonds de secours décidés à la va-vite pour calmer la colère qui monte ? Ou bien à imaginer un nouveau développement économique de la Bretagne en étroite collaboration avec le fertile terreau des associations locales et des collectivités territoriales ? Une idée forte et crédible de l’avenir possible de la Bretagne ne pourrait-elle pas venir de l’organisation de toutes les initiatives locales dont les propositions alternatives seraient prises en compte au niveau gouvernemental pour insuffler un nouveau plan de développement de la Bretagne, à l’instar de celui mis en place dans les années 60 ?
La Bretagne, exemple plutôt réussi de succès économique dans la deuxième moitié du XXème siècle, ne pourrait –elle être de nouveau l’exemple d’un nouveau type de succès économique pour la première moitié du XXIème siècle ? Ce serait un beau défi à relever par les Bretons, et la majorité actuelle.
Dans les années 60, c’est en grande partie le binôme le Gourvennec / Pisani qui a imaginé les solutions que tu cites (le désenclavement, le port de Roscoff, l’UBO, les télecoms…)
Ou sont les le Gourvennec et Pisani d’aujourd’hui ?
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Je ne pense pas que les le Gourvennec / Pisani d’aujourd’hui soient sous les « Bonnets rouges »…
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