Le jardin de l’aveugle – Nadeem Aslam (Seuil)

Quand j’ai demandé à mes libraires préférés de la Librairie du Renard de Paimpol de me conseiller un seul livre parmi les centaines de la rentrée littéraire de cette année, ils n’ont pas hésité une seule seconde : aussi bien Valérie que Benoit m’ont chaudement recommandé « Le jardin de l’aveugle » du Pakistanais Nadeem Aslam (Seuil). Effectivement, ce livre ne peut pas être oublié.

Tout de passe à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, entre Peshawar et les montagnes afghanes, alors que l’intervention américaine fait rage quelques mois après l’effondrement des tours de Manhattan. Jeo et Mikal sont pakistanais et vivent non loin de la frontière avec l’Afghanistan, ils sont deux frères de lait, musulmans et idéalistes. Jeo vient de se marier avec Naheed, dont Mikal a longtemps été le chaste amoureux. Leur père, Rohan, veuf inconsolable, a fondé une école ouverte à tous, lieu de résistance pacifique au fondamentalisme qui submerge le Pakistan, allié officiel des Etats-Unis. Son jardin, magnifique oasis de paix, reste le seul endroit où la guerre semble n’avoir qu’un très faible écho.
Jeo, médecin, et Mikal, rompu au maniement des armes, partent dans les montagnes afghanes pour secourir et soulager les populations afghanes victimes des bombardements américains. Ils découvrent le chaos total qui règne dans cette région déchiquetée par les agressions croisées des Américains et des talibans, chaos dont les seigneurs de la guerre cherchent à profiter par les moyens les plus brutaux en rançonnant quiconque passe dans la région. Jeo est tué, Mikal est fait prisonnier. Début d’une longue et terrible odyssée entre montagnes afghanes et ce bateau ivre qu’est devenu le Pakistan. Dans cette fournaise, Mikal a tué un soldat américain. Il est poursuivi sans répit et croise le frère du soldat mort.
Rohan, resté dans sa petite ville, est mutilé par des fondamentalistes et devient aveugle. Son école est attaquée. Naheed cherche à échapper à un remariage insupportable et espère le retour de Mikal.

On l’a deviné, Nadeem Aslam n’épargne pas le lecteur. Son livre plonge au cœur de l’horreur et de l’extrême violence qui a embrasé, et embrase encore, toute cette région. Mikal est une sorte d’Ulysse dont le seul but est de revenir chez lui malgré l’enchevêtrement des bombardements, massacres et enlèvements qui prolifèrent. L’auteur écrit caméra au poing, et donne à tous ces événements qui ont été décrits maintes et maintes fois, une réalité charnelle tout à fait stupéfiante, qui rend parfois la lecture du livre éprouvante. C’est le regard d’un pakistanais effrayé et terriblement réaliste, qui condamne aussi bien la violence extrême des bombardements aveugles des Américains que celle des Talibans ivres d’intolérance et celle des seigneurs de la guerre dont la rapacité se nourrit de sang. La force de la description a quelque chose de cinématographique, une sorte de « Voyage au bout de l’enfer ».
La violence est aussi omniprésente dans la ville où Rohan essaie de survivre debout. Violence des attaques des fondamentalistes qui cherchent à supprimer tout ce qui pourrait  être une porte vers la tolérance. Violence d’une société où la vie quotidienne est corsetée par un islam totalement répressif, d’abord et surtout pour les femmes dont la vie dépend entièrement des hommes, le plus souvent hypocrites, cupides et libidineux.

En contrepoint de cette description horrifiée, le jardin de Rohan est un oasis de paix, de beauté où la vie reste vibrante, les lumières scintillantes, l’eau encore ruisselante. Ces évocations qui parsèment ce récit apocalyptique résonnent comme des hymnes à la vie. Message d’espoir ? Ou épitaphe d’un monde qui a déjà disparu ?

Pendant que je lisais ce livre magnifique et éprouvant, le 22 septembre dernier, un attentat a visé l’église de Tous-les-Saints de Peshawar. Près de 80 personnes ont été tuées, une centaine d’autres blessées. Troublant écho de ma lecture dans la réalité la plus brutale.

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