A peine le temps de refermer « La clôture des merveilles » mais toujours habité par ce livre, j’ai ouvert « Patagonie intérieure », récit d’un voyage en Patagonie que Lorette Nobécourt a effectué pour l’écriture de son livre « Grâce leur soit rendue », que je n’ai d’ailleurs toujours pas lu. Un voyage avec Lorette, cela ne se refuse pas…
Le titre donne déjà la clé du livre : quel est le but d’un voyage – qui plus est en solitaire – sinon de se retrouver soi-même, de découvrir ce qui est vraiment son propre être ? Doit-on aller si loin pour y parvenir ? Le livre est rédigé comme un journal écrit au fur et à mesure. On partage aussi bien les affres de l’attente dans les aéroports que l’extase devant les montagnes tranchantes s’abîmant dans les eaux glacées du Canal de Beagle ; aussi bien l’énervement suscité par les tristes habitudes du tourisme de masse (oui, même en Patagonie, le tourisme de masse semble exister) que les moments tant désirés de découvertes solitaires. Ce récit est donc émaillé par les écœurements comme les enchantements qui parsèment le chemin de tout voyageur : aussi bien l’odeur de l’haleine d’un voisin de bus que « la liberté des petites filles en uniforme cueillant impunément les fleurs des plates-bandes » (page 43). Cela lui donne un côté « quotidien », voire « auto-fiction » plutôt inattendu chez Lorette Nobécourt. Ne pas oublier que c’est un journal, pas un roman.
Mais le plus important, c’est l’émerveillement. Il frappe à l’arrivée de la Terre de Feu : « »Une joie inexplicable me prend toute entière. Il n’y a rien. Rien. Rien. Sinon des étendues illimitées qui profanent le regard et le forcent à se perdre. » (page 81). Et plus loin, la révélation en arrivant au but ultime du voyage, Puerto Williams : « Et voilà, nous y sommes. Et qu’est-ce qu’il y a là ? La vie ordinaire d’un village ordinaire. La même, à peu près, que celle du village où je vis à quinze mille kilomètres de là. Et il me vient comme un grand rire au-dedans. C’est une farce, une énorme farce que me fait la vie. Et j’aime ça. (…) Le bout du monde, le bord du monde, c’est donc en dedans qu’il faut l’aller chercher. Dans l’isolat, dans la langue dont on ne connait pas la filiation. Dans le verbe dont on ignore l’origine puisqu’il est l’origine même » (page 90).
Par le truchement de son écriture subtile et ciselée, mouvante et somptueuse, on retrouve le thème fondamental de l’œuvre de Lorette Nobécourt : la réalité extérieure ne vaut que pour éclairer, éclaircir, faire émerger, transfigurer la vérité intérieure de chaque être. Et quoi d’autre, mieux que la littérature (et l’art en général) peut permettre ce retour en soi-même que l’on offre aux autres. « Oui retourner à la littérature, le seul lieu où l’ici et l’ailleurs sont enfin une même et unique existence. » C’est ainsi que finit ce livre…
Prenez le temps de regarder cet entretien que Lorette Nobécourt a donné sur France Musique le 20 mai 2013. C’est d’une rare intelligence. A la question « pourquoi vous voulez être seule dans ce voyage », elle a cette réponse magnifique et profondément troublante : « La solitude, c’est vraiment le lieu possible de l’opulence. »
La lecture des livres de Lorette Nobécourt est un chemin solitaire d’une particulière opulence.
Encore un beau billet sur Lorette… Puisse la façon dont nous en parlons la faire lire encore davantage, elle dont les livres paraissent de manière quelquefois inaperçue (hors rentrée littéraire) et que les prix semblent ignorer… Lorette est écrivain à temps plein (elle n’est pas, comme beaucoup de ses confrères et consoeurs, prof en quelque lycée), c’est dire que, matériellement, elle ne doit pas s’en sortir si facilement (d’où les ateliers d’écriture etc.). Anecdotiquement: elle part bientôt au Japon grâce à une bourse, pour écrire sur… un écrivain imaginaire!
La video de l’émission de France Musique est très belle, je l’ai visionnée plusieurs fois, elle s’y montre vraiment telle qu’on peut la voir au naturel, sans fard, en toute simplicité et avec sa grande intelligence.
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J’ai également écouté son interview sur France-Culture avec Jean-Christophe Rufin. Frustrant en effet… un peu à cause du cabotinage de Rufin mais beaucoup du fait de la journaliste qui n’en avait que foutre de L.N. Celle ci a tenu sa place et j’y ai retrouvé des propos identiques à ceux de la vidéo de France-Musique, notamment sur la solitude, chemin vers l’opulence … Cette phrase ne cesse de me travailler.
Quand j’ai commandé « La clôture des merveilles » auprès de ma librairie préférée de Paimpol, j’ai aperçu « Patagonie intérieure » sur une étagère. C’était la première fois que je voyais un de ses livres en rayon.
Je parle d’elle aussi au sein de » L’association des amis de la bibliothèque de Pléhédel » (c’est le bourg d’à-côté) dont je fais partie. Pour le moment, sans grand succès. Mais il est vrai que ce n’est pas facile de faire partager un enthousiasme que l’on ne peut vraiment comprendre qu’en ayant déjà lu un de ses livres ou en faisant confiance à un ami, comme je l’ai fait en lisant tes billets sur L.N….
Je ne pense pas pouvoir suivre un de ses ateliers d’écriture. Encore que celui d’octobre pourrait être possible ?
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