Manger le vent à Borobodur – Olivier Germain-Thomas (Gallimard)

Quel beau titre !
Il s’agit d’un voyage à Java, autour de Borobodur, le plus grand temple bouddhiste du monde. D’après l’auteur, « manger le vent » signifie marcher en javanais. Grand spécialiste des cultures d’Asie, et plus particulièrement du bouddhisme, Olivier Germain-Thomas a déjà parcouru la quasi-totalité des pays de l’Asie, notamment l’Inde, sans jamais s’être rendu en Indonésie. Ce livre, édité dans la très jolie collection Le sentiment géographique chez Gallimard, relate donc son premier voyage dans une petite partie de cette immense archipel, à Java, Bali et, pour finir, Singapour, inévitable étape pour rentrer en Europe.

 

Je m’attendais à un livre docte et craignais d’être étouffé par des considérations aussi savantes qu’ennuyeuses. Mais ce n’est pas pour rien que l’auteur cite Montaigne qui déclare que « Faire des voyages est un exercice profitable » : son voyage relève de la même volonté de curiosité mais aussi d’expériences personnelles au hasard des rencontres. Ce livre en est le récit à la fois plaisant et érudit, tout en fantaisie et en réflexions, se permettant de grands écarts entre des analyses teintées de lyrisme et des anecdotes enracinées dans des rencontres au hasard des hôtels et des estaminets.

Le volcan Merapi vu depuis le temple de Borobodur – Java (Photo © Jmph)

C’est aussi une leçon de bouddhisme appliqué à l’art du voyage. Loin de toute boulimie de kilomètres, préférant la lenteur des trains indonésiens à la vitesse des avions, grimpant dans des endroits quasi inconnus à l’arrière de motos conduites sans frémir par de jeunes hommes inconscient du danger (et pourtant…), il absorbe son désir de connaissance dans «  l’espoir d’atteindre dans le for intérieur l’espace commun, où le partage est possible. » (page 84). Au hasard des rencontres, où la séduction semble avoir sa part, il « se débarrasse de l’écran du moi » (page 91).

Bas-relief illustrant un épisode de la vie de Bouddha – Le temple de Borobodur – (© Jmph)

Le temple de Borobodur est en lui-même une leçon de bouddhisme : rarement construction n’a été bâtie avec une telle volonté d’expliquer et de faire ressentir la spiritualité d’une religion. Je l’ai visité trop vite, trop attaché à sa beauté extérieure, à la richesse insensée des bas-reliefs narrant la vie de Bouddha dans les niveaux inférieurs, ému par l’étrange mutisme des Bouddhas assis dans les stupas des étages supérieurs, intrigué par la forme de casque allemand du stupa au sommet du temple qui est… vide, symbole de la notion bouddhiste de Vacuité. Ce livre m’a permis d’en refaire la visite, détaché de toute curiosité esthétique ou anecdotique. Comme le note Olivier Germain-Thomas, c’est tôt le matin que l’on peut pratiquer « le pèlerinage en solitaire » (page 99), expérience que j’ai déjà vécue aussi bien à l’abbaye de Conques en Ardèche et devant Angkor Vat ou tout simplement devant la mer au lever du soleil…

Les pentes du Mont Lawu – Java (© Jmph)

Il n’y a pas que Borododur : il y a aussi deux temples quasiment inconnus sur les pentes du Mont Lawu  dans les hauteurs de Solo, ville fourmilière de Java-Ouest, d’où il n’est pas facile de s’extraire à cause des embouteillages, plaie indonésienne récurrente. J’ai pu gravir ces pentes tapissées du patchwork des plantations de thé, et découvrir dans ce site d’autant plus mystérieux qu’il était nimbé de nuages, les temples de Cetho et de Sukuh,aux formes qui ne sont pas sans rappeler celles des temples aztèques. Seuls étaient présents quelques jeunes couples locaux venus pour s’assurer de la fécondité promise par ces temples qui la célèbre avec une superbe ostentation… L’auteur en parle très bien.

         

A Bali, dont l’auteur a fui les plages encombrées par des Australiens souvent imbibés à partir de 18 heures, il a parcouru un voyage intérieur au pied du plus grand volcan de l’île et à Ubud, ancienne capitale de l’île devenue la destination culturello-branchée  très prisée des Européens (moi compris). A Jakarta, il a trouvé quelques endroits calmes dans cette ville où le qualificatif de tentaculaire n’est pas excessif. Et toujours des rencontres…

La démarche de spiritualité bouddhiste de l’auteur parcourt tout son récit. Mais aussi son regard en perspective des civilisations occidentales et orientales, de l’histoire des religions : « »Je ne puis croire les religions soumises à la fantaisie des nuages. Elles répondent aux demandes de l’inconscient qui, aujourd’hui en Occident, pleure devant le mutisme des anges » (page 123).
Le dernier chapitre de ce livre s’appelle « Du voyage« . L’auteur y livre ses réflexions sur le comment, le pourquoi et le « pour quoi » de cette activité qui prend un essor prodigieux. Questions que je me pose, alors que j’ai la chance de pouvoir voyager assez souvent.

Quelques-unes des remarques lucides et ambitieuses d’Olivier Germain-Thomas.
« La solitude est une compagne acide et généreuse ».
« L’invité n’est pas notre petit moi avide de caresses. C’est l’étranger de passage qui vient de l’eldorado, et qui reprendra la route aussi étranger qu’il est arrivé. »
« Le voyage, un essor vers le dénuement. »
« Aucun courage, ni abnégation pour accomplir un voyage profitable : seulement le goût des jaillissements, la stupéfaction des geysers. »

Voilà, tout est dit. Rien à ajouter.

 

J’ai eu la chance de partager un petit-déjeuner avec Olivier Germain-Thomas pendant le Festival des Etonnants Voyageurs au mois de mai dernier. Une heure de discussion à bâtons rompus avec un homme d’une grande modestie devant lequel j’avais un peu honte de mes banales expériences. Et pourtant le partage d’une certaine complicité.
Un beau moment.

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