Depuis 1990, le festival des Etonnants Voyageurs lance depuis Saint-Malo une invitation à la découverte grand format. Il a une place à part dans le monde encombré des festivals en France, car il ne s’attache pas à un genre particulier mais à une idée forte : le livre et le film sont des outils privilégiés pour découvrir le monde et le partager, pour décrypter notre société et la tirer vers le haut.
C’est la première fois que j’y allais, cette année où le printemps ne cesse de manquer à ses promesses. Mais le monde entier était présent à ce rendez-vous étincelant et généreux, stimulant et chaleureux. Qu’importe le climat, dans de telles occasions !
De ces deux jours passés à courir d’un endroit à un autre pour en capter tout leur intensité, je retiendrai quatre moments forts.
L’odyssée du bambou
« Les galériens du bambou« , film de la série « Les routes impossibles » diffusées sur France 5, a été tourné au Bangladesh. Dans ce pays qui reste l’un des plus pauvres de monde, le bambou est un « or vert » car il est massivement utilisé notamment pour édifier les échafaudages qui enserrent les immeubles en construction. Ce n’est d’ailleurs pas une spécificité de ce pays : à Hong-
Kong ou Shanghai, villes trépidantes où la richesse s’affiche sans complexe, le bambou est toujours utilisé à cette fin. Cet or vert pousse dans les montagnes du Bangladesh, loin de Dakha, sa capitale située dans le delta du Gange qui rejoint le Brahmapoutre pour se dissoudre dans la mer. Le film suit ces galériens sans bateaux qui acheminent le bambou depuis les
forêts montagnardes jusqu’à Dakha située à hauteur de la mer. C’est hallucinant ! Car le chaume du bambou – ce que l’on appelle « tronc » – doit rester intact pour être vendu au meilleur prix possible. Que cela soit dans les torrents tortueux et les rivières boueuses des montagnes, ou sur le fleuve lent, encombré et peu profond, s’écoulant lentement dans le delta, les conditions de travail sont épouvantables, le danger est permanent, le conflit est toujours latent, et l’exploitation par le patron reste impitoyable ! C’est un terrible exemple d’une sombre face cachée de la mondialisation.
United Colors of Québec
Dans la charmante petite salle de la Maison du Québec située près des remparts, une rencontre avec quatre écrivains québécois : le célèbre Dany Laferrière, d’origine haïtienne, Kim Thuy, d’origine vietnamienne, Ryad Assani-Razaki, d’origine béninoise et Eric Plamondon, québécois mais installé à Bordeaux. Le dialogue a tourné autour de l’écriture des exilés, volontaires ou non. De quelle culture sont-ils les hérauts ? Avec quelle
écriture en portent-ils le témoignage ? Ce fut un feu d’artifice d’intelligence et d’humour. Chacun a évoqué son parcours, sa démarche. Tous les quatre sont revenus dans leur pays d’origine mais jamais longtemps. Car, comme l’ont affirmé les trois écrivains non blancs, Dany, Kim et Ryad, « Nous sommes tous du même pays ! »: instant vraiment jubilatoire et position de combat contre tout racisme et xénophobie ! Le Québec semble être une terre d’accueil plus généreuse que la France; La complicité avec Kim Thuy et Ryad Assani-Razaki s’est prolongée par des lectures, Kim lisant avec délicatesse et aisance deux extraits de son deuxième roman « Mãn » ; Ryad, intimidé dans son premier extrait, puis libéré dans le second extrait de son livre « La main d’Iman » : il a été applaudi ! Ces deux heures en petit comité – 60 personnes – restent mon plus beau souvenir de ces deux jours de festival.
Sur les routes de l’Asie
Des petits déjeuners étaient organisés pendant le festival. Comme il venait de publier « Manger le vent à Borobodur« , j’avais souhaité rencontrer Olivier Germain Thomas,spécialiste de la culture asiatique, notamment indienne mais pas seulement. Surprise, j’étais le seul lecteur inscrit. L’animatrice du petit déjeuner, elle aussi amoureuse de l’Asie, est venue nous rejoindre et nous eûmes ainsi une très intéressante conversation à trois. Au-delà de l’échange sur nos expériences et coups de cœur respectifs, ce qui est toujours agréable, la discussion a tourné autour des représentations artistiques en architecture, sculpture et peinture et la façon dont ces représentations pervertissent le message fondamental de
la religion : qu’y a-t-il de commun entre le message de pauvreté du christianisme et les splendeurs et les richesses des ors des églises ? Qu’y a-t-il de commun entre l’idéal de vacuité du bouddhisme et la multiplication à l’extrême des représentations de Bouddha de toutes tailles et de toutes matières, comme j’en ai tant vu en Birmanie jusqu’à la nausée ? A l’inverse, l’architecture de Borobodur rend parfaitement compte de cet idéal avec ses étages inférieurs décrivant la vie de Bouddha en de magnifiques bas-reliefs, les étages supérieurs avec des stupas ajourés abritant de simples Bouddhas assis, et, au sommet, un stupa … vide.
J’ai aussi partagé avec l’auteur le souvenir de la découverte de deux petits temples encore inconnus des touristes mais absolument magnifiques, Sukuh et Cetho, dans les montagnes derrière la ville de Solo dans l’ouest Java.
Changer son regard sur l’Afrique
L’un des grands thèmes du festival 2013 était « L’Afrique qui vient ». Dans ce cadre a été projeté un film tourné au Congo (RDC) Empire of Dust de Bram. Van Paesshen. Il suit les aléas de la construction d’une route entre Kowelsi et Lumumbashi : les patrons sont chinois, les ouvriers sont africains ainsi que l’environnement politique, bien sûr. Choc de cultures avec deux personnages principaux : Lao Yang responsable du chantier, mélange de patience toute asiatique et du culte implacable de l’efficacité, et Eddy, l’interprète congolais, intermédiaire se transformant parfois en obstacle entre la direction chinoise et les hommes du pays, ouvriers salariés ou journaliers, commerçants hâbleurs, ploutocrates locaux et nationaux. Tout ceci avec le contrepoint d’une radio locale particulièrement jouissive. On ne peut s’empêcher de remarquer combien le discours des Chinois a des accents tellement semblables à celui des anciens colonisateurs. Par exemple, quand le chinois traite les Africains de « singes »,
ces derniers rétorquent en les qualifiant de « cochons ». Mais s’impose dans ce film l’image de la Chine toute-puissante et de l’Afrique tâtonnant entre l’acceptation d’une nouvelle dépendance et le désir de conserver ses valeurs traditionnelles.
A la suite de ce film très bien fait et souvent très drôle, il y avait un débat sur la notion de Chindiafrique, titre du livre de l’économiste Jean-Joseph Boillot et du journaliste Stanislas Dembinski, qui prévoit que le monde en 2030 – c’est demain ! – sera structuré autour du triangle Chine-Inde-Afrique devenant la première puissance mondiale. Dans son livre Le Rhinocéros d’or, l’historien François-Xavier Fauvelle Aymar apporte un recul historique à cette affirmation en révélant les liens entre ces trois ensembles, qui remontent bien avant la colonisation européenne,qui n’est juste qu’une parenthèse dans l’histoire africaine. Cette remise en cause des poncifs sur l’Afrique vouée au malheur depuis la nuit de temps est salutaire, même si j’ai eu parfois l’impression qu’on nous dressait un tableau un peu trop idyllique de l’histoire et de l’avenir africains. Mais mon cerveau est peut-être toujours encalaminé par la récente histoire tragique du continent noir…
Il y avait tant d’autres choses passionnantes, mais aussi une foule considérable surtout le dimanche où la pluie repoussait les visiteurs dans les bâtiments. Pour certains films ou conférences, il fallait parfois attendre pendant plus d’une heure. Et d’autres débats m’ont moins intéressé : le « café littéraire » avait lieu dans une salle immense où on ne pouvait voir les intervenants qu’à travers des écrans de télévisions.
Dans une salle plus petite, j’ai assisté à un débat sur l’art et l’engagement avec Saul Williams, rappeur américain enragé et engagé, extraordinaire tribun, Bruce Clarke, peintre sud-africain que j’avais découvert à Paris par hasard en 2011, dont les toiles et aquarelles m’enthousiasment, et Paul Wamo, slammeur kanak ouvert sur le monde et les autres cultures. Malgré la qualité des intervenants, le débat a rarement dépassé les poncifs.
Je n’ai pas eu le temps d’assister à un débat dont le sujet me semblait provocateur et stimulant : La culture, c’est la paix ? C’est aussi la guerre ». Le propos était de se demander si la culture n’est qu’un rempart contre la barbarie ou bien aussi le cœur des conflits où des valeurs qui se veulent universelles s’affrontent. Deux auteurs dont j’apprécie beaucoup les livres, Mathias Enard et Boualem Sansal, participaient à ce débat…
Malgré ces quelques légères réserves et à cause de ces regrets, je retournerai l’an prochain à ce Festival qui provoque un véritable remue-méninge ouvert sur le monde. Salutaire ? Non, c’est INDISPENSABLE.
J’ai acheté les livres de Olivier Germain-Thomas, Ryad Assani-Razaki et Kim Thuy, qu’ils ont eu la gentillesse de me dédicacer. Je vais bientôt les lire et vous ferai part de mon opinion à leur sujet.
formidable! tu as eu beaucoup de chance, notamment de pouvoir dialoguer avec Olivier Germain-Thomas (dont j’ai beaucoup aimé les livres précédents (« la traversée de la Chine à la vitesse du printemps » et « le Bénares-Kyoto »). Quant à kim Thuy, elle est très en vogue en ce moment à Montréal, dans toutes les vitrines des librairies, j’ai appris à cette occasion qu’elle habite à Montréal et que sa mère y tient un restaurant vietnamien. J’aurais aimé savoir où car j’y serais allé! Oui, le Québec a une grande tradition d’accueil des immigrés… Son problème n’est pas les immigrés… ce serait plutôt les autochtones!! A très bientôt.
J’aimeJ’aime