L’Ombre du vent, c’est un livre mystérieux dont seul un exemplaire existe encore. Daniel, fils de libraire, veut en retrouver l’auteur mystérieusement disparu, Julien Carax. Quel secret cela cache-t-il ? Carlos Ruiz Zafón emmène le lecteur dans une cascade de surprises et de rencontres, de rebondissements et de drames. C’est palpitant, au sens premier et second du terme.
Cette recherche du livre perdu s’étend sur un demi-siècle, selon une narration qui n’a rien de chronologique, avec des récits gigognes. On y croise une pléiade de personnages de tous bords, de toutes fortunes, de toutes classes, à double ou triple fonds apparemment incohérents les uns avec les autres.
Cela se passe à Barcelone, celle de la première moitié du XXème siècle, avant et pendant la guerre civile et sous le régime dictatorial de Franco. La situation politique reste toujours présente tout le long du récit, donnant à Barcelone une image tragique bien éloignée de la vibrante ville actuelle. La vie quotidienne y est rendue sans fard, sous la pluie et dans la nuit, dans la misère et la violence. Barcelone devient un vrai personnage du livre.
L’intrigue se complique, bourgeonne puis s’affine et ne livre son secret qu’à l’extrême fin du livre, comme tout bon thriller qui se respecte. Ce faisant, on suit le parcours d’une bourgeoisie toute-puissante qui partira ou s’écroulera au moment de la guerre civile, la vie précaire de petites gens qui se raccrochent tant bien que mal à tout ce qui pourrait leur permettre de survivre, celle de marginaux en tous genres, prostituées et révolutionnaires, mendiants et anarchistes au grand cœur et débrouillard, tout un peuple qui plie sans rompre tout à fait au moment de la guerre civile sous la férule impitoyable des maîtres du lieu, les syndicats d’abord, la phalange ensuite.
C’est dans un maelström de passions, de vengeances et de mystères que se débattent les principaux personnages qui vont de découvertes en coups de théâtre, où la mort côtoie l’amour, où la police tue et torture, où des parents désavouent parfois leurs enfants qui ne sont pas forcément les leurs. Les destins de certains se reflètent l’un dans l’autre, sans qu’ils comprennent vraiment pourquoi leur propre histoire bégaie…
L’Ombre du vent a rencontré un succès phénoménal dans le monde entier. Ce n’est peut-être pas de la « littérature d’auteur ». La critique « parisienne » l’a d’ailleurs, au mieux boudé, au pire massacré. Moi je l’ai beaucoup aimé pour son récit baroque, le nombre et la richesse des personnages, les sagas familiales au destin tragique, l’évocation d’une Barcelone totalement disparue (et c’est tant mieux, je crois…). Le style garde un certain recul par rapport à l’intrigue, avec une lueur d’ironie sur tout ce qui se passe. Zafón est un formidable raconteur d’histoire, ce qui rend moins apparentes certaines grosses ficelles de l’intrigue. C’est un livre qu’on ne lâche pas, qu’il ne faut pas lâcher sous aucun prétexte pour ne pas en perdre le fil et pour en goûter tout le sel et l’humanité. C’est un coup de cœur qui dure 630 pages…
Et c’est aussi, et surtout, un véritable hymne d’amour pour les livres… plus forts que la vie …