Candide, de Tanger à Barcelone

Tanger est-elle la porte vers l’Europe ? Ou le piège pour les aspirants à l’émigration ? Barcelone est-elle la ville la plus vivante de l’Europe du Sud ? Ou celle qui se désintègre dans la crise qui touche l’Europe ?
C’est entre ces deux villes que Mathias Enard a choisit de dérouler l’histoire de Lakhdar, dans Rue des voleurs, publié chez Actes Sud. Lakhdar est un jeune marocain désœuvré épris de liberté qui se nourrit de livres de « Série noire ». Il vient de se faire jeter violemment à la rue par sa famille pour avoir été surpris en train de « fauter » avec sa cousine. Débutent alors de longues tribulations hérissées de difficultés et épreuves en tous genres. Voyage initiatique ? Voyage prophétique ? Voyage d’un combattant ? Voyage de Candide ?

Ville de départ, Tanger, où Lakhdar est né mais où il mène une vie de paria. De son enfance, il lui reste juste Bassam, son ami « à la bonne tête de plouc » avec qui il contemple les rives de l’Europe, paradis hors d’atteinte. Le « printemps arabe » gronde sans toucher vraiment le Maroc. Les islamistes veillent à l’ordre moral. Dans Tanger où les contradictions de l’époque se nouent en face de la porte de l’Europe, Lakhdar tente de se trouver un chemin entre bouquins et mosquée, entre attentat et rêve de belles espagnoles, entre vivants et morts. Il rencontre Judit, une étudiante de Barcelone, avec qui il noue une idylle. Bassam disparaît. Lakhdar ne veut plus se contenter de rêver de l’Europe.

Deuxième étape, Algésiras, port espagnol de l’autre côté du Détroit. Ce qui devait être la porte de sortie de prison se révèle être une souricière. Il est en Europe mais reste enfermé entre un bateau abandonné par ses armateurs ripoux et un croquemort avide de vidéos ultra-violentes. Il touche « un abîme de malheur ». Doit-il rentrer à Tanger ?

Il parvient enfin à Barcelone où il revoit Judit. Elle garde ses distances avec lui, est très impliquée dans le mouvement des « Indignés ». Il réside dans la rue des Voleurs, lieu interlope où sa vie d’équilibriste lui procure un « sombre bonheur ». Il est le témoin des manifestations de révolte contre l’austérité qui détruit un pays entier. Bassam le rejoint. Pour quoi faire ?

Lakhdar est une sorte de nouveau Candide. Il a le même appétit de vivre, la même faculté de rebondir, la même volonté de comprendre le monde et ses tourments, la même envie de trouver le bonheur, ici, sur terre. Sauf que, pour lui, le bonheur n’est qu’une étoile obscure. Et que la terre de son jardin ne donne que des fruits amers.
« Rue des voleurs » est un livre magnifique, vivant et tragique, tumultueux et implacable, écrit à la première personne comme un long monologue introspectif narrant une épopée de notre temps, plongé dans l’actualité la plus brûlante et pétri de références littéraires allant de la « Série noire » aux contes et légendes arabes,.

Et comment ne pas aimer Lakhdar, ce juste parmi les pauvres ? Au cinéma, je le verrai volontiers interprété par Tahar Rahim, le « Prophète » de Jacques Audiart. Mais, à la fin, il ne sort pas victorieux de prison …

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