De quelle ombre s’agit-il ? Celle de ce frère, Bernard, le seigneur de l’enfance de l’auteur, dont la vie, la chute, le déclin et la mort semblent être le principal sujet du livre ? Celle des actes terribles perpétrés par Bernard pendant la guerre d’Algérie, dans les Aurès, à Alger et à Timimoun ? Celle du souvenir des femmes aimées et quittées, mais jamais tout à fait ? Celle que l’écrivain cherche à éclaircir par le patient et exigeant travail de l’écriture ? L’ombre de ce livre crépusculaire qui parcourt une vie fuyant entre les doigts du souvenir mais retenue par les filets de l’écriture ?
Toutes celles-là, et probablement quelques autres dans le livre foisonnant de Michel Schneider, « Comme une ombre« , édité chez Grasset. Foisonnant par les vies racontées qui sont très romanesques au plein sens du terme ; foisonnant parce que réalité et fiction sont inextricablement mêlées, sans que le lecteur sache toujours de quoi il s’agit. Ce livre est aussi nimbé du sens tragique et absurde de la vie, de la nécessité impérieuse d’écrire en prenant le risque de l’échec.
D’où un travail d’équilibriste entre deux modes de narration : la longue rencontre entre le narrateur, Michel, et L., la femme charnière, la femme aimée, la femme ruinée, vivant dans un décor de drame romantique ; et le récit à la troisième personne de la vie du frère, beau comme personne, d’une beauté qui ne peut être que fatale. Les frontières sont poreuses entre ces deux récits. Tellement poreuses que l’on ne sait plus ce qui est de la narration, de l’évocation ou de l’imagination.
L’auteur brouille les pistes et termine par une longue et sombre réflexion sur la nécessité d’écrire. « Écrire, c’est passer le pont, et laisser les fantômes venir à sa rencontre. Pour les tuer. Se débarrasser des êtres du passé. Pour qu’ils nous rendent la paix. On entre en eux de force, avec nos mots. On leur prend les leurs. On transgresse leurs limites. On leur fait leur peau. Il n’y a pas de mobile, et les victimes ne sont pas là pour accuser. Écrire est un crime parfait. » (page 321).
Ce livre, écrit avec beaucoup de finesse, est magnétique. Il m’a conduit vers une émotion profonde, celle des soirs où la vie des autres et la mienne repassent, pour ne pas en retrouver vraiment le sens…
Bonjour Jean-Marie,
Beaucoup de livres sur votre blog en cette rentrée. Pas fausse cette réflexion de l’auteur de ce livre sur la nécessité d’écrire, je trouve… à force d’écrire, on repousse au loin les ombres du passé. Le crime parfait ? Oui, pourquoi pas.
Amicalement
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Bonjour Armelle,
Les vingt dernières pages de « Comme une ombre » sont une longue et belle réflexion sur la nécessité d’écrire et les ambiguïtés qui lui sont liées : «Il y a dans tout roman un creux entre les mots qu’aucune image ni aucune histoire inventée ne pourra effacer ou remplir. Un roman, c’est comme la bouche d’un fusil : un trou avec quelque chose autour.»
Amicalement.
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