Des vieux qui enchantent la vie

Deux pépites dans l’actualité musicale : le dernier CD du septuagénaire Leonard Cohen, au titre presque provocateur Old Ideas, et le dernier CD de l’octogénaire Juliette GrecoÇa se traverse et c’est beau. Autant dire tout de suite que je ne suis pas fan inconditionnel, ni de l’un, ni de l’autre, le premier parce que je ne le connais pas vraiment, à part les incontournables Suzanne et Hallelujah, la seconde parce que je me suis souvent ennuyé ferme à l’écoute de ses derniers CDs. Mais, là cette fois-ci, c’est l’enchantement …

S’il y a une bonne chose qui est arrivée au public de Léonard Cohen, c’est la ruine dont le chanteur a été deux fois victime, par sa manageuse puis par Madoff. La disette étant venue, l’ermite canadien, plus ou moins retiré dans un monastère bouddhiste en Californie pour méditer, s’est résolu à reprendre le chemin des tournées internationales : salles pleines, presse dithyrambique, succès complet ! Les finances de l’ermite ont probablement été assainies et la demande du public est devenue de plus en plus pressante.

Et Leonard Cohen a sorti ce CD absolument somptueux, Old Ideas : sa voix s’enfonce toujours plus dans les graves, taillée comme un corail des profondeurs de la mer (peut-on dire une voix corailleuse ?). Elle est sertie dans des ambiances musicales allant du folk au gospel, en passant par un jazz relax, et rehaussées par des choeurs de voix de femmes dont on ne sait si elles viennent du ciel … Pourtant, rien de révolutionnaire dans cet album, son titre l’annonce clairement. Mais à quoi bon être révolutionnaire quand on aspire à une certaine éternité. Et le solo de trompette dans le deuxième titre de l’album, Amen, ne sonne pas comme celle des anges : c’est celle d’un homme qui semble ne plus rien regretter, et n’avoir plus peur de rien, ni de la vie, ni de la mort, ni de l’amour… Est-ce un « manuel pour vivre avec la défaite« , selon des mots extraits de Going Home ? Il est des défaites auxquelles on aimerait aspirer, d’autant que le vieux crooner est toujours Crazy to love you, juste accompagné d’une guitare sèche…
Leonard Cohen est bien vivant, juste un peu au dessus du commun des mortels.

Juliette Gréco est souvent appelée « Grande dame de la chanson française ». Elle est devenue une institution, garante de ce qu’il y a de plus singulier dans la chanson française et auréolée de sa présence, dans l’après-guerre, au coeur du mouvement de Saint-Germain-des-Près emmené par Sartre. Pas une interview où elle rappelle, sur un ton d’éternelle naïveté – ce qui souvent m’exaspère -, ses souvenirs du philosophe et de toutes les personnalités qu’elle a rencontrées dans les caves de Saint-Germain-des-Près.

Ça se traverse et c’est beau, qui vient de sortir au moment où elle fêtait ses 85 ans, est construit autour d’un thème, les ponts de Paris. Pendant une heure, elle nous ballade, bien mieux qu’un Bateau-mouche, le long de la Seine, berceau de la « Grande » histoire et des petites histoires de tout Parisien qui se respecte. Quel Parisien n’a pas son pont favori, pour des raisons personnelles ou secrètes ? Gréco raconte des histoires intimes sur ses ponts, de souvenirs en rêveries. Seule exception, Le Pont Royal, pour lequel le toujours suffisant Philippe Sollers expose son érudition dans un texte heureusement bien dit par la chanteuse…
Ceci aurait pu faire de cet album une nième commémoration de souvenirs. Mais, est-ce à cause de l’accompagnement à la fois aérien et frissonnant, ou des duos, entre autres avec Marc Lavoine et Melody Gardot, cet album est doté d’une légèreté, voire d’une juvénilité qui permet à Juliette Gréco de chanter, de sa voix aux multiples facettes mais toujours reconnaissable, un véritable hymne à la vie, à sa longue vie, que, de rencontres en combats, elle traverse, éblouie…
Elle m’a éblouit aussi.

 

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