Les quais et les installations portuaires du Havre semblent quasi-déserts. Dans la rue, un cireur de chaussures hors du temps essaie de glaner quelques pièces et les ramène à sa femme qui les met en lieu sûr. Des clandestins veulent passer en Angleterre. Ils sont pris au piège par la police et jetés dans l’enfer des centres de rétention, sauf un jeune qui parvient à s’enfuir. Alors que sa femme tombe gravement malade et est hospitalisée, le cireur de chaussures découvre le gamin et, avec l’aide des habitants de son quartier, décide de tout faire pour lui permettre de rejoindre ce qu’il croit être la terre promise, au nez et à la barbe d’une police sous les ordres d’un commissaire plus subtil qu’il n’y parait.
Comme peut le suggérer ce résumé du scénario, le film Le Havre du finlandais Aki Kaurismäki traite de la solidarité de certains citoyens tout à fait lambda avec les immigrés clandestins. Cela fait évidemment penser à Welcome de Philippe Lioret, avec des personnages qui, eux, rappellent ceux des films de Robert Guédiguian et sa peinture si juste des milieux populaires.
Pourtant il y quelque chose d’unique, d’étrange, de subtil et d’envoûtant dans ce film, grâce au décalage entre cette actualité si brûlante des clandestins et la couleur « années 50 » des décors (le port du Havre, si lourdement marqué par l’architecture de Perret), des objets (voitures, meubles, téléphone, etc). On retrouve ce décalage dans le jeu extraordinaire d’André Wilms, sorte de Monsieur Hulot gardant un soupçon de raideur comme une sorte de pudeur. Le jeu des autres personnages comme le policier sanglé dans un imperméable digne des films de l’après-guerre (incarné par le toujours excellent Jean-Pierre Darroussin), le marchand arabe ou la tenancière du bistrot du coin, mélange naturel et retenue, et reste éloigné des interprétations d’aujourd’hui trop souvent chargées d’émotions faciles. Autre décalage, celui provoqué par Kati Outinen, l’actrice finlandaise fétiche de Kaurismäki, qui s’exprime dans un français hésitant et fortement accuentué de finlandais. Le gamin en fuite est silencieux, il regarde les yeux écarquillés ce qui se passe autour de lui, pour ou contre lui.
Ce parti-pris d’anachronisme, de décalage, de distance voulu par Kaurismäki donne un souffle vivifiant de poésie, de fantastique et souvent d’humour à ce film dont le sujet pourrait laisser libre cours à de bons sentiments convenus et ennuyeux. Cela donne un accent singulièrement cinématographique à cette description implacable de la réalité actuelle de l’immigration clandestine en France !
Avec Le Havre, Aki Kaurismäki a réalisé un film qui devient une fable sociale et poétique, ce qui est rare et précieux !
Et la musique, très rock, est superbe !
Ton billet dit exactement ce que je pensais écrire moi-même sur mon blog (donc ce n’est peut-être plus la peine 🙂 ). J’ai adoré ce film. Tu as raison de mentionner Monsieur Hulot et jacques tati. J’ai pensé aussi à Robert Bresson (Mouchette, Au hasard Balthazar…). En tout cas un souffle poétique et à contre-courant de la production courante qui vise à toujours « faire vrai » (quitte à friser l’outrancier comme dans « Polisse » et le jeu poisseux d’un acteur comme Joey Star). Le parti pris de faire jouer des bonnes françaises par des finlandaises s’exprimant avec un parfait accent finnois est, entre autres, l’un des traits audacieux… La fin miraculeuse fait aussi penser à Dreyer… Bref, un grand film, et je vais retourner le voir!
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Si, tu devrais écrire un billet sur « Le Havre » : tu n »as probablement pas les mêmes lecteurs que moi, ton regard, même s’il est semblable au mien, apporte d’autres références.
Encourageons d’autres à aller voir « Le Havre » qui rencontre déjà un certain succès : en 4ème semaine, il dépasse les 400 000 entrées en France, ce qui est un record pour Aki Kaurismäki, me semble-t-il.
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Bonjour, Le Havre fut un des mes derniers coups de coeur de 2011 (voir mon billet du 27/12/11). C’est un film hors du temps avec un travail sur la couleur remarquable. C’est un joli conte optimiste. Petite anecdote, Le Havre devient une ville qui attire les cinéastes: Le Havre et récemment 38 témoins.
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Merci beaucoup pour votre commentaire. Je viens de parcourir votre blog qui me semble bien intéressant : je vais le rajouter à ma « blogroll ». Bonne continuation.
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