La présence médiatique de Nadine Morano ne fait que s’accroître : ces derniers temps, il n’est pas un jour où la ministre actuelle de l’apprentissage et de la formation professionnelle ne soit à l’origine ou au milieu d’une polémique. Est-il besoin de préciser que je suis de ceux qui la trouve navrante (le mot est faible), dans ses propos et dans son comportement.
Cependant, dans le déluge de railleries qui la submerge, faut-il y voir une réaction de classe ou de caste reflétant un rapport dominant/dominé, pour reprendre une terminologie « bourdieusienne » ? Même si elle n’est pas tout à fait exprimée ainsi, c’est l’opinion de Guy Carlier dans son livre Nadine Morano, une chanson française et celle d’Alain Minc. Le reportage diffusé dans Envoyé spécial sur France 2 le 15 décembre dernier donnait par ailleurs une image très contrôlée de la ministre montrant le parcours de la petite Lorraine venant des « cités » qui réussit à avoir accès aux antres du pouvoir pour y défendre ses convictions très à droite et asseoir une belle soif de pouvoir.
Le pic de la polémique est survenu le 3 janvier dernier à l’occasion d’un clash mémorable avec Sophia Aram, humoriste à France Inter : j’apprécie beaucoup les chroniques de Sophia Aram qui réussit le plus souvent à lier humour et férocité politique en présence de ses « victimes », ce qui constitue une grande différence avec ce que faisait Stéphane Guillon à la même table il y a deux ans. Sophia Aram a lu son billet, mordant et documenté, devant Nadine Morano qui était restée dans le studio, à l’inverse de Frédéric Lefebvre qui avait pris son courage à deux mains pour fuir afin de ne pas écouter la dangereuse humoriste. D’habitude, l’invité, s’il reste, ne fait pas de commentaires. Mais pas Madame Morano : comme toujours, elle a foncé… (voir la vidéo ci-dessous)
En l’occurrence, le reproche que l’on pourrait faire aux « dominants » de brocarder la « dominée » Morano ne peut être imputé à Sophia Aram, elle-même issue d’une classe dominée entre toutes, les immigrés.
Dans les critiques acerbes faites à l’encontre de Nadine Morano, il y a son manque de culture (au sens de la culture dominante relayée par la quasi-totalité des médias), ses fautes d’orthographe sur Twitter ou ailleurs, ses réflexions de comptoirs de café, etc… bref sa façon de ne pas connaitre ou respecter les codes en vigueur des « bonnes manières » politiques. Ceci est d’ailleurs très typique de la Sarkozye première époque, quand le Président actuel faisait de ses expressions et manières « populaires » un des éléments de sa rupture avec les politiques de ses prédécesseurs : on sait combien cela lui a coûté… Cette critique peut être vue simplement comme un réflexe de caste des dominants. A ce titre, on pourrait rejoindre les réactions plus ou moins horrifiées de Guy Carlier ou d’Alain Minc, ce dernier étant l’une des icônes les plus emblématiques des dominants ? Ou bien cache-t-elle quelque chose de plus fondamental ?
Personnellement, ce qui me frappe quand je regarde Madame Morano, c’est son manque d’humour qui traduit son manque de recul par rapport à quelque situation que ce soit. On peut y voir une qualité, celle de la fonceuse. C’était tout à fait flagrant devant Sophia Aram, d’autant qu’elle ne savait absolument pas où elle avait mis les pieds. Elle dit d’elle-même qu’elle « tape plus vite que ses doigts » à propos de ses Twits. Plus généralement, elle donne l’impression qu’elle parle (beaucoup) plus vite qu’elle ne pense. Est-ce par défaut de penser ? En tous cas, avec elle, ce qui devrait n’être qu’un débat, devient tout de suite une polémique n’abordant rien de fondamental et relayée par les médias qui ont font leur « choux-gras ». Cela me rappelle les propos désabusés du philosophe et historien Michel Serres, le 30 décembre dernier, toujours pendant la Matinale de France Inter : il regrettait combien les polémiques occultent tout débat. C’est bien l’une des caractéristiques de Madame Morano : la réaction avant toute réflexion. D’où cette impression de voracité dans ses propos plutôt primaires, tellement elle resurgit comme un pantin sortant de sa boite.
Cela me rappelle un article paru dans le dernier numéro de Télérama (je ne l’ai pas trouvé en ligne) : dans un dossier où des écrivains célèbres font un portrait de six candidats aux prochaines Présidentielles, Christine Angot dresse celui de Marine Le Pen de façon apparemment indulgente. Ce portrait finit par les réflexions de Madame Le Pen sur l’art dont elle dit avoir « un rapport instinctif, primaire, complètement spontané ». Elle ajoute : « ça ne m’intéresse pas de comprendre ». N’est-ce pas là, la vraie fracture, entre celles et ceux qui veulent comprendre et s’en donnent les moyens et les autres qui se contentent de rapport instinctif et primaire ?
La volonté de comprendre n’est pas l’apanage des dominants, la réaction « instinctive et primaire » n’est pas le lot des dominés. Mais Nadine Morano n’est que réactions plus ou moins éruptives, ne donnant pas l’impression qu’une réelle réflexion soit à l’origine de son engagement, dont le pôle semble n’être que la personne de Nicolas Sarkozy. D’où ses reniements pour suivre la trajectoire sinueuse de son mentor (comme pour la « TVA sociale »), ses emballements, voire ses demi-vérités pour essayer de gommer ses excès. Elle y gagne en notoriété médiatique, mais pas en crédibilité politique. Elle n’est pas une victime de classe, elle est avant tout une victime d’elle-même et de notre système politico-médiatique.
Mais aussi, et surtout, elle participe au dispositif de combat idéologique plus ou moins organisé par le pouvoir : elle en est le côté « populaire », le côté intellectuel étant tenu par le très « réfléchi » et dominant Henri Guaino.
Encore cette semaine : elle fut le sniper n°1, comme souvent, dans l’histoire du « sale mec »… Sarkozy se plaint d’ailleurs souvent auprès du reste de ses ministres qu’elle est la seule à le défendre. Je crois surtout qu’elle un peu bête.
Une petite chronique toute récente , qui commence par « Je l’avoue, probablement comme vous, j’ai passé une semaine éprouvante aux contacts multiples et rarement désirés de Nadine Morano » : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/229185-nicolas-sarkozy-a-t-il-fait-de-nadine-morano-sa-mascotte.html
Et puis la très indispensable chronique désintox de Libé : http://desintox.blogs.liberation.fr/blog/2012/01/morano-commence-2012-en-fanfare.html
Une vidéo de Morano dans ses oeuvres : http://www.liberation.fr/politiques/06014631-c-est-cadeau-2-30-de-morano-show
La parole est à la défense : « Les critiques d’une gauche caviar qui déteste les ouvriers de droite » : http://www.liberation.fr/politiques/01012381634-des-attaques-d-une-gauche-caviar-qui-deteste-les-ouvriers-de-droite
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J’apprécie ton billet qui, justement, essaie de dépasser la réaction instinctuelle. Ceci dit, on a le droit de vouloir vivre selon ses instincts, de vouloir vivre sans comprendre, de ne pas réfléchir, de ne pas se sentir engagé par le contenu de ce qu’on dit, mais on a le droit aussi de ne pas faire confiance à des personnes qui agiraient ainsi. La parole publique suppose un jeu d’engagement, une responsabilité dans l’argumentation etc. Beaucoup de nos politiques ne le savent pas ou feignent de l’ignorer. A nous de réagir, et dans ce cas, toutes les armes sont bonnes, et en premier lieu l’ironie mordante. On ne va tout de même pas les plaindre! (les Morano, les Lefebvre, les Douillet, lesquels, même s’ils sont parfois issus de milieu populaire, ont fait leur choix en connaissance de cause: choix d’être parmi les dominants).
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@ Alain : je suis tout à fait d’accord avec toi et ne crois pas avoir affirmé le contraire : ce n’est pas parce que quelqu’un vient des « dominés » qu’il faille le rejoindre et l’approuver. L’origine sociale, quelle qu’elle soit, ne dispense pas de réflexion et de sens de la responsabilité dans l’engagement. Ceux que tu cites ressemblent à des marionnettes, mais participent, avec plus ou moins de savoir-faire, à la construction idéologique que le pouvoir actuel propose à ce qu’il croit être la classe populaire, pour faire oublier sa politique économique et sociale.
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