Le catastrophisme, maladie sénile de la démocratie ?

Dessin de Arend Van Dam

Allions-nous verser dans le gouffre ? L’Europe allait-elle s’effondrer, entraînant le monde entier ? Devions-nous d’ores et déjà renoncer à tous projets  puisque la faillite était inéluctable ?

La mise en scène autour des décisions concernant la gestion de la dette grecque a pris, cette semaine, une ampleur tragi-comique. Erik Izraelewicz, directeur du quotidien qui héberge mon blog, n’a-t-il pas titré « Le sursaut ou le chaos« . C’est tout juste si je n’ai pas veillé pendant la nuit du mercredi 26 au jeudi 27, afin de savoir s’il fallait remplir la voiture et s’enfuir sur les routes de France pour un nouvel exode. Dans le genre, Sarkozy en a remis une épaisse couche lors de son soliloque accompagné de jeudi soir, en cherchant à nous persuader que c’est lui qui nous a « protégé ».

De nombreux observateurs se sont demandé si le catastrophisme ambiant relevait de la dramatisation ou de la lucidité. Faut-il que l’opinion publique, les électeurs du printemps prochain, soient à ce point endormis pour devoir les réveiller à coups d’annonces sensationnelles ? Est-ce, encore une fois, une dérive du système médiatique actuel où, plus que jamais, l’annonce est la seule partie du récit qui importe ?

Reste que l’Europe est en difficulté d’autant que chacun y projette ses propres peurs, espoirs et fantasmes. Lire à ce sujet de dossier  » Dix regards sur l’Europe » dans lequel dix auteurs européens, écrivains et analystes, plumes connues et nouvelles voix, écrivent sur leur vécu et leur vision de l’Europe. Peut-on faire le pari que cette diversité saura engendrer un projet commun ? Une certaine dose d’idéalisme peut-il  être une antidote au catastrophisme ?

Le catastrophisme n’est pas l’apanage du récent débat européen : l’écologie en est aussi un terrain très fertile. Tout le monde garde en mémoire ces images des glaciers de l’Antartique qui s’effondrent dans les eaux glacées, métaphore de notre civilisation engloutie au fond de son hyper-consommation. Le fameux documentaire promu par Al Gore, « Une vérité qui dérange » – qui a reçu deux Oscars en 2007 – visait à faire frissonner le public afin de le motiver pour changer de mode de vie. Pascal Bruckner, dans son dernier livre « Le fanatisme de l’Apocalypse« , s’emploie à montrer combien « l’idéologie écologique » s’appuie sur des réflexes judéo-chrétiens de culpabilisation en faisant régner une ambiance de fin des temps. Sa charge, forcée et animée d’un curieux aveuglement, pointe néanmoins à juste titre combien le discours écologique se construit sur un catastrophisme assumé et culpabilisant. Est-ce la bonne méthode pour « convertir » (j’emploie à dessein ce mot à connotation religieuse ) les citoyens à une modification de notre mode de vie ?

Panache radioactif de Fukushima

Le discours « catastrophiste » s’émaille de gimmicks qui agissent comme des Points Godwin visant à clore tout débat. Comme le montre avec malice et intelligence Romain Pigenel dans son blog « Variae« , la référence suprême de la catastrophe écologique est Fukushima. Ce nom est devenu l’épouvantail ultime que les écologistes brandissent sans compter pour revendiquer la sortie de nucléaire. Bientôt, le problème des algues vertes sur les côtes costarmoricaines sera « le Fukushima de l’agriculture intensive bretonne » développée depuis 60 ans en Bretagne…

Autre gimmick employé à tout bout de champs : « Munich », comme comble de la lacheté et de la couardise devant un  danger majeur. Cette semaine, un de mes amis a déclaré, après la signature de l’accord européen sur la dette grecque, que « nous assistions impuissants à un « Munich » de nos politiques face à la finance… » Rien de moins !

Le catastrophisme est-il inhérent au débat démocratique ? En est-il simplement une maladie sénile, alors que la vieille démocratie à l’occidentale a du mal à se renouveler ? Faut-il que le débat médiatique  ne fasse  que naviguer dans les eaux d’un catastrophisme émaillé de gimmicks tout aussi ridicules les uns que les autres ? C’est réconfortant et fort drôle, d’écouter et regarder Frédéric Pommier s’amusant des gimmicks plus ou moins martiaux utilisés dans le langage politico-médiatique.
De quoi oublier, pour un instant au moins, le catastrophisme ambiant.

2 commentaires sur “Le catastrophisme, maladie sénile de la démocratie ?

  1. Je comprends bien ton analyse : les médias surfent et font des vagues à partir de certains événements, jusqu’à les transformer en tsunamis (quand il ne s’agit pas de ce phénomène lui-même !).

    Pourtant, la situation de l’Europe actuellement, avec le problème posé par la dette grecque et les initiatives de dernière minute du gouvernement Papandréou, ne sont pas un événement qu’il faudrait passer sous silence : Obama en personne vient s’y intéresser à Cannes.

    Idem aussi pour l’écologie : Pascal Bruckner, l’esprit « autonome » navigant librement au-dessus des interrogations posées par les Verts, entre autres, prend tout de loin, bien à l’abri dans son appartement germano-pratin et sa sans doute résidence secondaire dans le Lubéron. Ce contestataire professionnel, qui a jadis formé un couple pourtant osé avec « Finkie », dont on sait ce qu’il est devenu (le valet de la doxa, le contempteur d’Internet et de tout ce qui peut remettre ses certitudes en cause, mais qui reste accroché à France Culture le matin comme une moule défraîchie à son rocher), n’est vraiment pas une référence en matière d’écologie : il fallait qu’il publie un bouquin comme chaque année, le sujet était dans l’air, il l’a attrapé avec son filet à pipaillons, et voilà tout.

    Quant à Fukushima, est-ce un gimmick ? Les questions sur la « sortie du nucléaire » (plus ou moins rapide si elle ne peut être radicale) ont été fort justement posées lors de la survenue de cette catastrophe.

    Il est facile ensuite de jouer aux pommes en se prenant pour le Newton de l’humour.

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    1. L’Europe comme l’écologie sont des questions très sérieuses, qui méritent réflexion, attention et action. Le catastrophisme ambiant est-il le seul moyen de favoriser tout ça ? Ce dont j’ai peur, c’est qu’à force de catastrophes annoncées mais toujours surmontées ou évitées « au dernier moment », on en vienne à ne plus prendre au sérieux les vrais dangers, pourtant bien réels.
      Je ne suis pas du tout un fan de Bruckner. Mais l’écologie devenue une sorte de nouvelle religion où chacun doit être vertueux, a des relents curieux d’autres religions que l’on croyait dépassées.
      Quant à Frédéric Pommier, sa chronique hebdomadaire sur France Inter où il évoque un gimmick, est une manière bien réjouissante de secouer le prunier des habitudes langagières actuelles.

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