Quand je vais à la Librairie du Renard, à Paimpol, je demande souvent à Valérie et Benoît un conseil pour découvrir un livre dont je n’ai pas entendu parler. Pour cette rentrée, Valérie m’a conseillé Le héron de Guernica, d’Antoine Choplin (Editions Rouergue). Lu dans le train entre Bretagne et Paris, ce livre de 150 pages est une bonne surprise.
Je n’avais jamais entendu parler de son auteur, Antoine Choplin. La 4ème de couverture annonce que ce livre est « un interrogation sur les tragédies de la guerre et la nécessité de l’art pour en témoigner« . Beau sujet mais plutôt casse-gueule. Y a-t-il besoin d’un livre pour traiter ce sujet ?
Goya, avec Les fusillés du 3 mai, Picasso, avec Guernica, en disent suffisamment. Au cinéma, Potemkine d’Eisenstein et Aleksandrov, et Apocalypse Now, de Coppola sont des exemples parmi tant d’autres de la façon dont l’approche artistique renouvelle le regard sur l’histoire, et plus particulièrement sur la guerre. Pourtant, Antoine Chopin, en jouant sa musique personnelle, sur une partition originale, donne un livre sensible et intéressant.
Basilio est un jeune peintre vivant à Guernica. Tout en n’étant pas indifférent à la guerre civile qui fait rage en ce mois d’avril 1937, sa passion est la peinture. Surtout peindre des hérons dans le marais proche de la ville. Pourtant, le livre commence à Paris : Basilio, sur le conseil du père Eusebio, prêtre à Guernica, cherche à rencontrer Pablo Picasso qui présente son déjà célèbre tableau Guernica pendant l’Exposition universelle qui se tient au Trocadéro en mai 1937. Avec une question sous entendue : qui est le plus légitime pour évoquer le bombardement du 26 avril 1937 ? Le jeune peintre inconnu qui était présent sous les bombes ou le peintre célébrissime qui n’y était pas ? Heureusement, aussitôt évoquée, cette question un peu vaine est évacuée.
Après ce prélude parisien, le lecteur suit Basilio dans et autour de Bernica, pendant les quelques heures qui précèdent le bombardement. Au départ, je n’ai pas été très captivé par ces premières pages où, avec son style plutôt minimaliste, Antoine Chopin décrit la vie quotidienne d’une petite ville basque entre bal et marché, sous la menace de l’arrivée de troupes nationalistes : ces cinquante premières pages sont intéressantes mais manquent de relief.
Le livre commence vraiment à décoller quand on suit Basilio dans le marais où il retrouve le héron qu’il veut peindre : c’est une véritable relation qui s’établit peu à peu entre l’animal, le marais et le peintre afin de cueillir une « petite lueur de vie » (page 57), condition indispensable à la beauté du tableau. Puis la rencontre avec un déserteur à quelques pas du héron donne une vraie force dramatique au livre qui ne le quittera pas jusqu’à la dernière ligne. Le passage d’un avion en rase-mottes souligne « la béance du ciel » (page 74). C’est depuis le marais que Basilio entend la première déflagration, les cloches de l’église sonner, qu’il voit les bombes sous le ventre de l’avion et le premier » mur de poussière » (page 79) qui se dégage du coeur de la ville. Fasciné, Basilio regarde l’envol du héron effrayé par le tumulte grandissant. Puis s’en retourne vers la ville.

Je ne vais pas vous raconter la suite, il vaut bien mieux lire ce livre si vous voulez en savoir plus. Ce qui est remarquable, c’est la musique délicate et entêtante qu’Antoine Choplin développe pour raconter ce bombardement : rien n’est épargné, rien n’est appuyé. Au passage, le rôle de l’art pour témoigner de la guerre est finalement abordé comme, par exemple, les limites de la « vignette » photographique quand Basilio tente de prendre des photos des incendies provoqués : « C’est un tout dont on ne peut rien extraire sans risquer la supercherie. Ce qui se voit ne compte plus que ce qui reste invisible, ce qui pourrait apparaître ou ce qui se tient en attente derrière les angles de mur, que ce qui va surgir d’un instant à l’autre, du ventre des nuages. » (page 104). On trouve aussi une véritable leçon de photo-journalisme. à propos d’une bicyclette. On voit comment la poésie peut interférer au pire moment (cela me fait penser à Jorge Semprun).
Le dernier chapitre prend la suite du premier : à Paris, Basilio et Picasso se voient, se frôlent… Epilogue d’une belle subtilité.
