J’ai vu Omar m’a tuer, le film de Roschdy Zem sur la fameuse affaire qui a affolé les gazettes françaises durant les années 90. Ce film, entièrement à décharge de l’accusé, est réalisé avec vigueur. Il est surtout porté par l’interprétation sidérante de Sami Bouajila. Ce qui a confirmé l’opinion que j’avais de lui : c’est le meilleur acteur français actuel. Bien sûr, il y a déjà son engagement physique total, digne des plus grands acteurs américains comme Robert DeNiro. Il y a aussi son incroyable malléabilité qui s’est développée dans ses divers rôles tout au long de son impressionante filmographie depuis maintenant 20 ans.
Je me souviens très bien de la première fois où je l’ai vu : c’était dans « Drôle de Félix« , d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau en 2000. Il jouait le rôle assez culotté d’un jeune beur homosexuel séropositif qui, de Dieppe à Marseille, faisait diverses rencontres, familiales ou non, avant de retrouver son père qu’il ne connaissait pas. Son interprétation savait allier la gravité du propos à la légèreté de son personnage qui se promenait comme une sorte d’elfe nonchalant et jouisseur.
Peu de temps après, il y eut le premier film d’Abdellatif Kechiche, La Faute à Voltaire, où il incarnait un jeune immigré maghrébin à la recherche de papiers lui permettant d’affronter son rêve de France dans les rues plus ou moins hospitalières de Paris. Là aussi, il savait donner de multiples facettes à son personnage avec humour, gravité, sensualité.
Ensuite, après quelques seconds rôles comme dans Embrassez qui vous voudrez, de Michel Blanc, il y eu le grand succès public, critique et politique d’Indigènes en 2006, pour lequel il a partagé le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes avec Djamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem et Bernard Blancan. Sami Bouajila y incarnait le caporal qui commande sans aucune expérience sa petite troupe de soldats qui se sont enrolés pour avoir de l’argent pour se marier. Bouajila montre tout son art de jouer la complexité de son personnage pris entre son devoir de commander ses soldats et sa terreur de mourir.
En 2008, il remporte le César du meilleur second rôle dans Les Témoins, d’André Téchiné : il y est Mehdi, marié bisexuel qui affronte le sida dont est victime son jeune amant. Là encore, il incarne avec intensité un rôle très casse-gueule en évitant toute caricature et en assumant toutes ses contradictions.
Dans Hors-la-loi en 2010, il est l’un des chefs impitoyables du FLN pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie, tout acquis à sa cause, idéaliste jusqu’à devenir cruellement fanatique. Là, il met toute l’intensité de son jeu au service de ce personnage particulièrement dérangeant : même ses paroles douces ne sont que menaces inexorables. Il est glaçant !
Récemment, France 2 a diffusé l’excellente série télévisée réalisée par Hervé Hadmar, qui se passe à La Réunion, Signature. Sami Bouajila y est Toman, qui a grandi en enfant sauvage dans les « hauts » de l’île après avoir perdu ses parents à l’âge de 5 ans, dans d’horribles circonstances. Rôle à la fois physique et plongeant dans le non-dit d’une enfance brisée.
A quoi tient son talent à la fois très polymorphe toujours marqué par une intensité qui se manifeste de façon si diverse ? La réponse est probablement dans cet article paru récemment dans Télérama : un travail de fou en amont du tournage, une présence physique chaque fois renouvelée pouvant inspirer l’effroi comme la tendresse, le désir comme la solitude ; un choix de plus en plus large dans ses rôles d’autant que sa notoriété croissante lui permet de s’éloigner du cliché longtemps envahissant de l’acteur maghrébin mais qui lui a permis d’être entrainé par la vague montante des acteurs maghrébins comme son pote Roschdy Zem. Il fait aussi partie de ces acteurs, comme Gérard Depardieu, pour qui la soif des planches et la passion du théâtre ont été une planche de salut leur permettant d’éviter la vie de gamin de cité sans réussite scolaire.
Mais peut-être aussi et surtout, grâce à sa personnalité à la fois complexe et ouverte, à ce qu’il appelle son « Karma trop chargé », qu’il a sû libérer et maitriser.
Son prochain film ? Carré blanc de Jean-Baptiste Leonetti, avec Julie Gayet, un film d’anticipation très sombre sur le monde du travail. C’est d’actualité, non ? Sortie prévue le 7 septembre 2011.