Un été sans les hommes – Siri Hustvedt (Actes Sud)

Je viens juste de refermer Un été sans les hommes, de Siri Hustvedt (Actes Sud), dans un état d’euphorie que j’éprouve rarement dans des occasions semblables.

Dans ces 200 pages, Mia, la narratrice d’une cinquantaine d’années, poétesse venant d’être larguée par son mari pour une « Autre » et sortant de l’HP où l’avait plongé sa douleur, fait une pause dans une bourgade du Minnesota, pur morceau  du Middle West, où sa mère finira ses jours dans une maison de retraite. Elle se lie avec un groupe, qu’elle appelle Les Cygnes, composé de quelques amies de sa mère, fragiles et piquantes veuves encore très vivantes. Elle donne des cours de poésie à des adolescentes  nouées de contradictions et de perversité. Elle devient amie de sa voisine, Lola, jeune mère flanquée d’un mari instable et violent mais amoureux. Aucun autre homme dans ce roman (je me demande si c’est vraiment un roman) si ce n’est un mystérieux Mr Personne qui lui envoie des messages d’abord vaguement menaçants puis plus empathiques ; et Boris, le mari volage, qui ne quitte pas les pensées de Mia. Ne pas oublier Daisy, leur fille, brillante et belle actrice qui réussit à New York City.

Deux cent pages d’une exceptionnelle densité : plongées répétées dans le subconscient des unes et des autres, déroulé de l’histoire d’un sauvetage chaotique, réflexions caustiques et profondes sur les hommes et les femmes, sur la vieillesse et la mort, sur la jeunesse et la construction d’une personnalité. « Dépouillés d’intimité et vus d’une distance considérable, nous sommes tous des personnages comiques, de risibles bouffons qui allons trébuchant dans nos vies en créant de beaux désordres en chemin, mais si l’on se rapproche, le ridicule vire rapidement au sordide, au tragique o à la simple tristesse. » (page 93). Ce n’est pas vraiment l’univers de Oui-Oui !
Pourtant, nulle trace de misanthropie dans ce livre ! Cette humanité si compliquée n’est pas clouée au pilori. Elle n’est pas méprisée, mais est observée avec précision, sans indulgence, sans recherche d’un enchantement sauf celui qui vient du regard porté sur l’autre. La complexité de l’être humain, ses contradictions, y sont clairement acceptées, développées, analysées. On comprend alors pourquoi Siri Hustvedt fait plusieurs fois allusion à Kierkegaard qui n’a eu de cesse d’essayer d’éclaircir les différentes facettes contradictoires de l’être humain. Siri Hustvedt fait de même, dans un contexte où le conformisme ne résiste pas longtemps aux pulsions de jeunes adolescentes et aux secrets savamment enfouis de vieilles femmes qui ne veulent pas  mourir rapidement.

Malgré ton titre, Un été sous les hommes n’est pas un pamphlet contre les hommes. Ce n’est pas un plaidoyer féministe mais une réflexion sur la différenciation sexuelle, sur ce qui distingue femmes et hommes. Réflexion menée au travers des vies des nombreux personnages du livre, les Cygnes, Léa, la jeune voisine, Mia elle-même. Menée aussi dans des pages à la fois savoureuses et très étayées sur les évolutions selon les époques et les civilisations de la représentation et du rôle imparti à chacun des deux sexes et les avancées récentes dans ce domaine dues aux progrès récents de la neurophysiologie :  » (…) les gènes s’expriment au travers de l’environnement, (…) le cerveau  est plastique et dynamique, (…) il se développe et se transforme avec le temps en fonction de ce qui se trouve dehors. » (page 156).

Pour autant, Un été sans les hommes n’est pas un livre pédant rempli de réflexions philosophiques. C’est une sorte de comédie humaine où se retrouvent surtout des femmes de tous âges avec certains personnages particulièrement fascinants, comme Abigail, dont l’enterrement clôt le livre. Tout ceci dans une prose d’une subtile et pénétrante ironie et une construction de la narration à vitesse variable, surprenante, avec une bonne dose d’humour sur certaines habitudes du roman américain – la recherche à tout prix de l’action – et des adresses directes au lecteur qui, dans mon cas, a été rapidement acquis à la cause de l’auteur.

Prenez le temps d’écouter et regarder Siri Hustvedt parler de son livre : c’est très intéressant et, de plus, elle dit qu’elle continuera d’approfondir les sujets évoqués dans « Un été sans les hommes ». Voici une excellente nouvelle !

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