Abdelattif Kechiche avait prévenu, « Vénus noire » n’est pas un film agréable. On est très loin du consensus réuni autour « Des hommes et des dieux« . Rien n’est fait pour emmener le spectateur vers une spiritualité supérieure qui conduirait à des comportements remarquables et héroïques. Au contraire, le spectateur est entraîné vers les bas-fonds de l’humanité : je suis allé de la nausée au malaise, du malaise à l’écoeurement, tellement la dignité humaine est bafouée, délibérément ou non.
Kechiche ne cède pas à la facilité de l’esquisse, il laisse les choses aller jusqu’au bout, quel qu’en soit le prix, il ne cède pas. C’est l’une de ses « marques de fabrique ». Ceux qui ont vu « La graine et le mulet » se souviennent de la danse du ventre d’Hafsia Herzi pendant plus de dix minutes alors que son père erre et meurt dans la ville. De la même eau, mais en plus léger, il y avait les longues joutes verbales des ados de « L’Esquive ». C’est ce qui rend son cinéma tellement singulier et fort, parfois difficile, au point de pouvoir être quasi-insupportable comme dans « Vénus noire ». Dans ce film, c’est encore accentué par une caméra qui filme très près des corps (cela rappelle Patrice Chéreau), le plus souvent dans des lieux clos ; le soleil et le ciel n’y brillent guère. Noirceur et étouffement…, cela fait penser aussi à Bergman, celui de « Cris et chuchotements ».
Cette forme de radicalité exigeante, éprouvante aboutit à une description impitoyable du regard que chacun peut porter sur l’autre quand on ne voit que la différence et non son humanité. Ce regard est celui du spectateur qui cherche le frisson du spectaculaire. C’est celui du scientifique qui cherche à classifier, en faisant rentrer chacun dans une case préétablie, case prédéfinie par des préjugés sociaux et raciaux. C’est celui du client de bordel qui mate les filles pour ne finalement regarder que son propre plaisir. « Vénus noire » est un film sur le regard, celui qui ne s’intéresse qu’à la représentation, celui qui met à part, celui qui garde la distance, celui qui exclut.
Alors, faut-il être masochiste pour aller voir « La Vénus noire » ? En tous cas, ce film noir est d’une lucidité foudroyante. Lucidité, ça vient de lux, lumière en latin. Etymologie trompeuse ? Ce film si noir, n’agirait-il pas comme un négatif révélateur de la lumière ?
C’est aussi, et surtout, un plaidoyer implacable pour la dignité humaine.
Je n’ai vu que récemment « La graine et le mulet », un film très fort, dans une autre veine que son formidable marivaudage précédent.
La « Venus noire » m’attend peut-être (mon fils en est ressorti mal à l’aise, pourtant il avait assisté quelques jours avant à une excellente « master class » de Kechiche au Forum des images).
En tout cas, un cinéaste original et puissant qui nous change des bluettes traditionnelles du cinéma français (voir l’affiche du film « Potiche » avec la pauvre Catherine Deneuve).
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Je ne crois pas qu’on puisse sortir de « Vénus noire » sans ressentir un vrai malaise, une profonde nausée. Kechiche l’a d’ailleurs annoncé.
Mais heureusement qu’à côté, il a des comédies, plus ou moins mauvaises, c’est vrai. J’aime beaucoup Ozon et je vais me précipiter voir « Potiche » avec Deneuve qui, loin d’être « pauvre », prend un malin plaisir de choisir des rôles décalés ou comiques dans lesquelles elle se déchaine. Et où elle enchante ! Lire la critique de Jean-Michel Frodon.
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Bonjour, je ne regrette pas d’avoir vu ce film mais j’ai trouvé certaines scènes interminables: c’est voulu mais pas de pitié pour la spectatrice que je suis. J’ai bien compris le message mais ce n’est pas la peine de le marteler encore et encore. Les acteurs sont tous très bien. Mention spéciale aux personnages d’Olivier Gourmet et François Marthouret aussi ignobles l’un que l’autre. Bonne après-midi.
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