La dernière livraison du site d’information Arrêt sur images recelle un joyau : comment un « fixeur » (personne indispensable pour un journaliste qui veut pénéter une zone ou un milieu jugé dangereux) prend au piège un journaliste du très « respectable » hebdomadaire Le Point : ce dernier cherchait à rédiger un article sur les « polygames de banlieue », sujet bien gras pour accentuer la stigmatisation de ces gens venus d’ailleurs. Ce fixeur, le jeune et très audacieux Abdel, lassé de la mauvaise image des « cités » amplifiée par les medias, s’est fait passer par une épouse de polygame. Il faut regarder cette video car elle est extrêmement drôle.
Au delà de cette situation hilarante, c’est un exemple édifiant de bidonnage effectué par un journaliste. C’est l’arroseur arrosé, le manipulant manipulé, pris à son propre piège : en voulant rédiger un article saignant sur un sujet tout aussi saignant mais dont il ne connaissait que les clichés ambiants, il a simplement écrit ce qui lui faisait plaisir, ou ce qu’on lui disait d’écrire, en négligeant les principes fondamentaux du journaliste. C’est rigolo de voir que F.O Giesbert, patron du Point, déclarer à l’AFP : « nous allons enquêter. Ca montre à quel point notre métier est difficile. » Et cliquez ici pour avoir la réponse embarassée et fielleuse du magazine. Lire aussi l’analyse de Médiapart à ce sujet.
Loin de moi l’idée de jeter l’opprobe sur les journalistes, faciles exutoires aux difficultés de toujours. Ils exercent une profession indispensable : la présence de journalistes indépendants du pouvoir, et donc FORCEMENT CRITIQUES de ce pouvoir, quel qu’il soit, est un des marqueurs principaux de la démocratie.
La coïncidence veut que je viens de finir de regarder la dernière saison de The Wire (Sur écoute en français). J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette série américaine. La dernière saison est articulée autour du rôle des medias dans le maëlstrom des problèmes de Baltimore, quartiers ressemblant à nos « cités », lutte politique dans une ambiance de corruption, un système éducatif inadapté, l’ordre public déclaré comme priorité sans donner les moyens adéquats, médias traditionels en danger face à l’éruption de l’Internet… Cela ne vous rappelle rien ?
Ce sont deux policiers, assez marginaux par rapport à leur hiérachie – et deux parmi des principaux héros de la série, Jimmy McNulty et Lester Freamon – qui mettent au point une manipulation assez machiavélique et sophistiquée de la presse : suggérer des meurtres de sans abris, pour que les pouvoirs publics redonnent des moyens suffisants pour arrêter des véritables criminels. La stratégie du leurre, en quelque sorte…
Ou la stratégie du beur !
Bel exemple de piège dans lequel un journaliste — et donc sa rédaction, et son directeur — est tombé, incapable de la moindre vérification et prisonnier de ses a priori.
J’aimeJ’aime
Intéressant et instructif, peut-on encore parler de « journaliste » ?
J’aimeJ’aime