Il y a plusieurs sortes de livres.
Il y a ceux que l’on achète, sous le conseil de sa libraire préférée ou par impulsion, ou parce qu’on en a entendu parler ou, pire, parce qu’il a reçu un prix. A 20 euros le livre, on est en droit d’être comblé par sa lecture, d’autant qu’il va aller ensuite encombrer les rayons déjà pleins de la bibliothèque. On peut aussi le prêter, pour partager le plaisir de la lecture, ou s’en débarasser.
Il y a ceux qui sont offerts. On se demande toujours la motivation d’un tel cadeau qui est souvent une image de soi que l’autre propose. Mais est-ce intéressant ? En tous cas, il vaut mieux le lire, au moins la quatrième de couverture, pour pouvoir répondre à la question qui tue : « Alors, ça t’a plu ? ».
Il y a ceux qui sont envoyés gratuitement, ce que j’ai expérimenté cette année avec le Prix des lecteurs de L’Express. On les lit avec une telle concentration qu’on pense davantage à ce que l’on va écrire qu’à ce que l’on est en train de lire.
Il y a ceux que l’on trouve à la bibliothèque du quartier, que l’on prend par hasard, parce qu’il est en bien en vue, ou parce que le titre est plaisant. Pas grave si on se trompe, on peut interrompre la lecture dès la dixième page. Ou bien on poursuit jusqu’au bout, émerveillé par la surprise… C’est ainsi que j’ai eu parmi mes plus belles émotions de lecteur.
La semaine dernière, j’ai pris à la bibliothèque François Villon du Xème arrondissement à Paris deux livres choisis pour des raisons plutôt superficielles : des livres courts pour être casé facilement dans mon emploi du temps surchargé de retraité, des auteurs que je ne connaissais pas du tout, des quatrièmes de couverture qui annonçaient un sujet qui a priori m’intéressait.
Nina par hasard de Michèle Lesbre (Sabine Wespieser Editeur) donne la parole à Nina, jeune fille un peu perdue du Nord, apprentie coiffeuse. Elle vit avec sa mère, Suzy, ouvrière dans une des rares usines textiles qui restent dans cette région. Suzy a une vie amoureuse agitée, sous le regard légèrement désapprobateur de sa fille. Nina voudrait fuir un quotidien qui s’annonce assez gris, elle se réfugie dans le souvenir flou et fort de son père qui a disparu depuis longtemps, et de son grand-père qui cultivait son jardin et ses racines. Elle cherche un ailleurs, une virée au bord de la mer, une sortie au théâtre… Suzy, elle, partage avec ses amies ouvrières les discussions sur les hommes et l’amour impossible, mais aussi le labeur répétitif et exténuant de l’usine sous la surveillance tyrannique et malveillante du petit chef et du patron. La grève éclate …
Le texte commence par une évocation en demi-teinte des réveries d’une adolescente et des aventures sentimentales de sa mère. Il continue par une fresque où lutte des classes et recherches amoureuses alimentent le rêve, donnent l’énergie de se battre ou parfois l’envie de s’enfuir. Mais cela ne peut pas empêcher le drame…
En phrases courtes mais fluides, l’auteur réussit, sans hausser le ton, à faire partager la détresse et les espoirs des ces « gens du Nord ». Les femmes ne sont pas des « Mères Courage » inoxydables mais ne se sentent jamais mieux que lorsque elles se retrouvent ensemble, donnant à la solidarité féminine une densité et, parfois aussi, une drôlerie assez peu communes. Les hommes, eux, ne sont pas gâtés sauf ceux qui font rêver, le père disparu et toujours espéré, l’ami qui fait connaître une autre Nina, celle de La Mouette…
Dans La Théorie du panda, de Pascal Garnier (Zulma), Gabriel débarque à la gare d »une ville bretonne tristounette (pas de nom, s’il vous plaît). Il trouve un hôtel, minable, il demande où manger, ce dimanche soir où tout est fermé. C’est là qu’il rencontre José, restaurateur portugais, dont la femme, bretonne, est à l’hôpital. Il rencontre aussi Madeleine, la belle réceptionniste de l’hôtel, Rita et Marco, couple junkie et fou d’amour. Son talent de cuisinier lui sert de sésame pour pénétrer dans l’intimité de ses amis : qu’y a-t-il de plus intime que de cuisiner chez les autres ? Le mystérieux Gabriel est un ange, comme celui qui envoûte la famille de Théorème de Pasolini : il révèle chacun à lui-même. Mais lui, il se dérobe, il garde sa distance. Pourquoi ?
La Théorie du panda est une sorte de fugue à plusieurs voix, celles de chacun des esseulés et malheureux qui se raccrochent à Gabriel, celle de Gabriel lui-même dont l’histoire émerge progressivement. L’ange est-il vraiment un ange ? Il y a du thriller, là-dedans ! Plus on avance, moins on lâche le livre. La narration, sous un air de randonnée, conduit de façon implacable au dénouement fatal.
Et le panda ? Il reste dans le bar de José, toujours souriant. C’est le seul ange de ce roman.
Ah oui, Michele Lesbre, c’est très bien. J’ai fait la connaissance d’un de ses romans, figure-toi, à Tréguier, le printemps dernier, peu de temps après t’avoir quitté, quand nous avons remonté la rue centrale; il y a une librairie là, et les romans des éditions Wespieser étaient en vitrine. Il y avait les premiers mots du roman « sur le sable ». Je l’ai acheté par la suite. très beau roman. L’héroïne est fascinée par les livres de Modiano, et les principaux personnages des romans de ce dernier sont égrenés au fil des pages.
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J’avais lu « Le Canapé rouge » de Michèle Lesbre (même éditrice) et j’avais trouvé que c’était un petit bijou – je crois même en avoir parlé sur mon blog.
La bibliothèque François Villon, je n’y ai jamais mis les pieds (sur un côté de la place du Colonel-Fabien, non ?), c’est une bonne idée.
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il y a des livres a ecrire sur les livres, comment on les aborde, ils vous attirent, on les saborde, ils vous emoustillent, et parfois vous transforment. Ceux aupres desquels on vient se refugier, se ressourcer… Une rencontre parfois par coincidence, comme vous le decrivez.
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Décidément, on devrait créer un fan-club de Michèle Lesbre !
Oui Dominique, la bibliothèque François Villon (pas Fillon…) est tout près de la place de Colonel Fabien. Cela fait 10 ans que j’y vais régulièrement, je n’y trouve pas toujours ce que j’y cherche, mais je trouve souvent ce qui me surprend. Quel plaisir !
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