J’ai parcouru la Route de la Soie pendant cet été, sans même quitter la Bretagne, en lisant les trois tomes de Longue Marche, de Bernard Ollivier (Phébus libretto) : ce journaliste à la retraite a suivi, à pied, l’une des nombreuses routes de la soie entre Istanbul et Xian, en quatre fois, de 1999 à 2002. Sans ambition littéraire, son livre est passionnant, vivant, personnel, le lecteur marche avec lui, partage ses enthousiasmes et ses frayeurs, sa lassitude et son énergie. Evidemment, son parcours est émaillé d’aventures en tous genres.
La Route de la Soie en ce début du XXIème siècle n’a plus rien du long fleuve rêvé. C’est très loin du romantisme d’une route traversant déserts et montagnes dans un quasi dénuement : c’est avant tout une route asphaltée, avec un trafic souvent incessant de camions bruyants et polluants, sauf lors du passage du Pamir avec ses 5000 mètres d’altitude. On atteint l’horreur absolue dans la traversée de tunnels où c’est un miracle de ne pas finir plaqué sur la calandre des camions lancés à toute vitesse dans un étroit boyau. Inutile de rêver aux pistes de terre et de sable qui poudroient à l’horizon. Les émanations des tuyaux d’échappement en tiennent lieu. Les caravansérails sont remplacés par des hôtels rudimentaires avec eau rationnée et électricité clignotante. Ce n’est qu’en Iran que l’auteur passe enfin la nuit dans un vrai caravansérail et qu’il se sent enfin caravanier.
De même, la description des foules touristiques à Boukhara et, dans une moindre mesure, Samarcande, défigure l’idée qu’on peut se faire de ces villes mythiques et que je pensais, naïvement, encore épargnées par le tourisme de masse.
Autre obstacle : les frontières. Bien sûr, il s’agit d’abord d’obtenir les visas en temps utile et pour une durée suffisante, ce qui n’est pas évident, notamment dans les républiques de l’Asie centrale. Bureaucratie, incompétence et abus de pouvoir sont monnaie courante. Pour résoudre certains problèmes, Bernard Ollivier a dû faire appel à ses « faiseuses de miracles » réunies dans une petite cellule parisienne chargée de l’aide en cas de pépin. Il y a aussi le passage des postes-frontières, moment et lieu où le pouvoir policier se cristallise en imposant la menace de l’arbitraire sur le moindre voyageur. Oh surprise, ce sont les douaniers iraniens qui se sont montrés les plus accomodants !
Mais ne soyons pas condescendants sur ce sujet : il suffit de penser aux tracas de ceux qui veulent venir en Europe sans être européens. Obtention de visa et passage des postes frontières sont des épreuves bien pires que celles traversées par notre marcheur.
A cette sombre description s’opposent les moments où le paysage et la lumière offrent des instants de grâce absolue, lui offrant un « orgasme étiré » venant de la jubilation face à un paysage de montagne. La piste devient parfois sa « douce maîtresse », en lui donnant envie de continuer à « frôler le divin lorsque le corps, harassé, transcendé par l’effort, libère enfin la pensée. (..) Aller plus loin, me dépouiller plus encore, alléger mon maigre balluchon. En attendant que, m’y étant préparé, je voie venir la mort avec sagesse. »
La Route de la Soie traverse deux civilisations : la musulmane, depuis Istanbul jusquà la frontière kirghiste, et la chinoise.
C’est rien de dire que l’auteur a largement préféré le contact avec la première : l’hospitalité étant une des régles primordiales de l’Islam, le marcheur a pu faire de merveilleuses rencontres de la Turquie jusqu’au Kirghistan. La description de ces rencontres est d’ailleurs l’un des charmes majeurs du livre. Quels que soient le régime politique et la présence policière dans ces pays qui sont, soit en guerre (la Turquie dans le Kurdistan), soit des dictatures (l’Iran et les républiques islamiques d’Asie centrale), le marcheur a souvent trouvé de l’eau pour se désaltérer, un plat pour se restaurer, un toit pour passer la nuit. Cette hospitalité est doublée d’une curiosité sans fond, tout à fait compréhensible mais souvent lassante. Pour autant, le regard de Bernard Ollivier reste celui d’un occidental : il ne cache pas ses plus grandes réserves sur la condition faite aux femmes, ni le fossé qui le sépare, lui incroyant (sans pouvoir le dire à voix haute), de l’omniprésence de la religion dans la vie publique et la sphère privée.
Après le passage de la frontière chinoise, le marcheur ne pourra plus, sauf rares exceptions, retrouver cette hospitalité. L’étranger reste à part, il fait davantage peur qu’il n’inspire la sympathie, tout juste une curiosité effrayée, mais parfois confinant au harcèlement. Le système policier chinois totalement paranoïaque favorise ce comportement qui prend ses racines dans l’histoire de l’Empire du Milieu : ce n’est pas par hasard que la Grande Muraille en est un des symboles. Le poids de la religion dans les pays musulmans est remplacé par le poids du pouvoir politique mais avec des attitudes plus résignées que consentantes. Quant aux femmes chinoises, leur condition n’a rien à envier à leurs soeurs musulmanes
Cela donne l’impression qu’il est plus facile pour un Européen de rencontrer les musulmans que les Huans. Mais la sécularisation quasi totale de l’Occident éloigne l’Islam de l’Europe, alors que les Chinois s’emparent de la modernité avec voracité pour s’en servir comme arme de conquête.
Il y a bien d’autres choses dans ce récit : le corps qui se plie ou rechigne à l’effort, la solitude recherchée comme un Graal accessible aux plus chanceux ou aux plus opiniâtres, ou détestée quand elle est absolue dans le désert. La fin est douce-amère : passé la satisfaction d’avoir réussi son pari insensé, Bernard Ollivier n’est pas sûr d’avoir parcouru la Route de la Soie.
Mais il a défriché un chemin vers lui-même.
J’avais lu le premier tomeet je garde un bon souvenir de cette lecture;
J’aimeJ’aime
Il y a du Compostelle dans cette (dé)marche. Une quête sur la route de soi.
J’aimeJ’aime
Bernard Ollivier a effectivement parcouru le chemin de Compostelle au moment de son passage à la retraite, avant de se décider de suivre la Route de la Soie.
J’aimeJ’aime
« Mais la sécularisation quasi totale de l’Occident éloigne l’Islam de l’Europe, alors que les Chinois s’emparent de la modernité avec voracité pour s’en servir comme arme de conquête. »
ohohhh ! Trois tomes de récit ne vous font parvenir qu’à ce genre de cliché qui ne veut rien dire ?
Votre billet aurait mérité meilleure conclusion…
J’aimeJ’aime
Organisateur des Foulées de la Soie en Chine depuis 1996, j’ai connu Bernard Ollivier dans les premières années, sur mon épreuve qui se veut à la fois sportive et culturelle. Je garde de Bernard, un très bon souvenir et je ne peux que vous conseiller de vous plonger dans ses récits….en attenant peut être vous voir un jour sur « Les Foulées de la Soie »
En attendant, bonne lecture.
J’aimeJ’aime
J’ai lu des passages de cette belle épopée. Je me souviens particulièrement du passage de frontière entre Kirghiztan et Chine, seule portion de route où B. Ollivier a du se faire transporter par véhicule motorisé… Je me souviens aussi de son angoisse quand il réalise qu’il possède un GPS et que cela est strictement interdit en Chine…
Je trouve quand même un peu exagéré de dire que les Hans n’on de rapport à l’étranger que dominé par la peur. Le court voyage que j’ai fait en 2005 (5 semaines) à travers la Chine m’a montré au contraire assez souvent des gens… plutôt rigolos (oui!) et très avides de conversation avec l’étranger. Je me souviens aussi de la grande amabilité de gens (des femmes surtout) à qui on demandait de nous aider à trouver notre chemin. Une d’elles abandonna carrément son activité pour nous conduire là où nous voulions aller. J’ai raconté ici : http://alainlecomte.blog.lemonde.fr/2006/09/08/2006_09_golmud_et_le_po/
un épisode qui montre que souvent ce sont les réactions des occidentaux qui sont très inappropriées, alors que la personne chinoise qui en est victime s’incline avec bonne grace.
quotiriens a une belle formule quand il confond « route de la soie » et « route de soi ».
J’aimeJ’aime
Je ne partage pas totalement l’avis de Bernard Ollivier sur les Huans. C’est bien probable qu’il ait été moins bien accueilli en Chine que dans les pays précédents, mais on perçoit très bien à la lecture du 4ème tome qu’il commence vraiment à en avoir assez de parcourir la route de la soie.
J’ai lu avec plaisir tes aventures à Golmud. Ne connaissant de la Chine que son appendice le plus occidentalisé, Hongkong, il est certain que je n’y ai jamais été victime d’un ostracisme quelconque. Mon frère qui est allé très souvent en Chine pour affaires, a toujours aimé s’y rendre, non seulement pour le business mais aussi pour le sens de l’humour de ses interlocuteurs. A l’inverse, il n’a jamais aimé le contact avec les Russes.
J’aimeJ’aime
Ca donne vraiment envie de lire ces ouvrages qui m’ont l’air très dépayasants !
J’aimeJ’aime