Retour sur une expérience…

Les douze livres de la sélection du Prix des lecteurs de L'Express… Oui, sur une expérience de lecture inédite : depuis le début de l’année, je fais partie du jury des lecteurs de l’Express qui comprend 7 lecteurs « classiques » et 3 blogueurs. Cette expérience est presque à son terme, les délibérations du jury ayant eu lieu ce vendredi 28 mai. Le Prix sera décerné officiellement le 15 juin prochain. Avant cette date, pas possible de dire quel est le gagnant…

Douze livres à lire en quatre mois, la plupart assez courts, ce n’était pas insurmontable surtout que je n’ai plus d’obligations professionnelles. Je m’étais donné comme règle de ne rien lire sur le livre avant de l’avoir fini et d’avoir écrit au moins le premier jet de la chronique de quinze à vingt lignes publiée ensuite sur le blog du Prix des lecteurs de L’Express.

La Centrale - Elisabeth Filhol (P.O.L.)Premier constat : la lecture ces douze livres s’est faite de façon différente de la plupart de mes lectures précédentes car je prenais des notes. Auparavant, je ne faisais que corner certaines pages ou de souligner quelques phrases. En prenant des notes, non seulement cela aidait ma mémoire, parfois à éclipses, de se souvenir de tout ou presque, mais aussi à établir mon jugement au fur et à mesure de la lecture. Le fait même d’écrire ces notes, même rapides, « noir sur blanc », de les formuler d’une certaine façon, cela ouvrait certaines pistes de réflexion de façon inattendue et m’amenait à approfondir la lecture, parfois même à réviser ma façon de lire. J’ai découvert la force du couple « lecture-écriture » pour se forger une opinion. Du reste, je le fais dorénavant beaucoup plus souvent, bien au delà des douze livres concourrant à ce Prix.

L'horizon de Patrick Modiano (Gallimard)Deuxième constat : ce n’est pas facile de se faire un jugement dépassant le simple fait de dire « j’aime/j’aime pas », d’essayer d’expliciter les raisons d’un sentiment qui devient un jugement. D’autant que je suis persuadé depuis longtemps que le « j’aime/j’aime pas » ressenti peut provenir très largement des circonstances, parfois très prosaïques, qui entourent la lecture. Il m’est arrivé parfois de ne plus du tout avoir le même avis sur un livre en le lisant une seconde fois dans des ciriconstances totalement différentes. De plus, n’ayant qu’une connaissance assez superficielle de la littérature et du monde de l’édition, je ne peux pas appeler à la rescousse une compétence dûment validée en ce domaine. Plus que jamais, sans réfuter les avis des spécialistes et érudits, j’ai été conscient de ma propre subjectivité du jugement que je porte sur une oeuvre artistique, quelle qu’elle soit. Tout en me posant des questions sur la subjectivité des maîtres à penser qui sont censés donner le ton dans le monde de l’édition…
D’où une grande liberté, parfois intimidante. D’autant que pour une fois, mon avis pouvait, modestement, contribuer à influencer une opinion sur un livre. Mais alors, de quel droit pouvais-je donner un avis négatif sur un livre ? Dans ce blog, il m’est arrivé souvent de chroniquer des livres, mais, presque toujours, ceux dont j’avais envie de dire du bien. Dans le cadre de ce Prix, il fallait bien que je dise mon jugement, même négatif, jugement qui pouvait dépendre, tout bêtement, de la qualité et de la durée de la sieste qui précédait ma lecture.

1940 l'année noire - JP Azéma (Fayard)Troisième constat, qui est plutôt une question : finalement, y a-t-il des critères qui me font aimer tel livre et détester tel autre ? Bien sûr, le premier est qu’il ne me tombe pas des mains. D’ailleurs il est très rare que je ne finisse pas un livre, espérant toujours trouver un intérêt à la page suivante. Mais ensuite ? Je suis vraiment incapable de le dire de façon claire… Parmi les douze livres faisant partie de la sélection du Prix des lecteurs de l’Express, mes quatre favoris n’ont vraiment rien de commun : La Centrale d’Elisabeth Filhol, Lily et Braine de Christian Gailly, L’horizon de Patrick Modiano, et 1940, l’année noire de Jean-Pierre Azéma. La Centrale, à cause de l’originalité d’un sujet aride traité de façon très humaine aboutissant à une veritable oeuvre littéraire, Lily et Braine pour son style éblouissant qui fait de ce livre un mirage envoutant, L’horizon parce que c’est Modiano et que j’aime son univers, 1940 l’année noire, parce que rarement un livre d »histoire m’a fait autant réfléchir. Quoi de commun entre ces quatre livres ?
Peut-être faut-il que je me pose la question inverse : pourquoi je n’aime pas tel ou tel livre ? Dans les douze livres de la sélection, quatre m’ont, soit déçus, soit carrément irrités. Photo JmphCeux qui m’ont déçu sont L’Olympe de l’infortune de Yasmina Khadra et Le gang des mégères apprivoisées de Tom Sharpe. Déçu est vraiment le mot car j’en attendais beaucoup : celui de Khadra car c’est un auteur dont j’avais beaucoup apprécié ses livres précédents, mais qui s’était risqué dans un genre, le conte philosophique, qui exige une pensée philosophique qui dépasse la pensée bien pensante de discussions de machine à café. Celui de Sharpe, parce que la réputation de l’auteur me garantissait des grands éclats de rire… et ce ne fut vraiment pas le cas !
L’irritation provoquée par le livre de Nicolas Rey, Un petit passage à vide vient de la vacuité totale du sujet, du style, du personnage et de son histoire, un livre dans le faux air du temps, un mauvais rejeton de l’autofiction…
Quant au livre de Daniel Vann, Sukkwan Islandil m’a déplu car les thèmes un peu « bâteaux », la relation père-fils et l’effet rédempteur de la nature sauvage, sont traités à grands coups de poncifs et que la narration conduite uniquement sur le mode du suspense « insoutenaaaaable » m’a semblé vaine.

Mais toutes ces appréciations, positives ou non, ne forment pas quelque chose de cohérent sur mes goûts en littérature.Très franchement, cela m’est égal car cela n’entame pas mon envie de lire et d’être surpris par des livres inconnus ou oubliés, ou bien de revenir à des univers qui me sont chers comme celui de Modiano, par exemple.

Lily et BraineMais ces lectures approfondies m’ont permis de prêter une attention plus soutenue à d’autres éléments qui forment mon jugement sur un livre. Bien sûr, je suis toujours sensible à l’intrigue, l’histoire racontée, le profil des personnages. Je suis toujours sensible au style quand il me surprend et ouvre des portes inattendues, mais aussi quand je m’y coule confortablement en y retrouvant des frémissements habituels. Je reste toujours réticent à une surcharge de pathos, à l’utilisation superflue du suspense, ces deux alibis qui occultent la sincérité du sentiment et la vérité de l’inspiration. 
Mais je suis devenu plus sensible à la position de romancier lui-même, son point de vue (celui du narrateur), sur le type de narration, sur tout ce qui fait la construction d’un livre. Deux exemples pris dans deux romans qui s’appuient sur une base documentaire importante : La Centrale est construite sur la tension entre le monde froid et deshumanisé qui prévaut à l’intérieur même des centrales et la vie difficile, aléatoire et terriblement humaine de ces précaires qui vont de centrale en centrale pour y accomplir les taches dangereuses de maintenance. La qualité littéraire vient de cette tension, traitée dans un style plutôt minimaliste, évitant un pathos larmoyant mais rendant sensible le parcours accidenté de « cette chair à neutrons ».
no-et-moi.1271350447.jpgAutre exemple, pris en dehors de la sélection pour le Prix : No et moi, de Delphine de Vigan, est raconté avec le point de vue d’une jeune fille surdouée de 13 ans qui fait connaissance de No, une SDF. Ce point de vue donne du recul à la description de No, à son parcours, et crée une empathie chez le lecteur pour les deux « héroïnes » du roman qui le rend particulièrement crédible.

Bilan de l’expérience ? Un élargissement de ma façon de lire. Puis-je ne pas perdre ma spontanéité, quand même…

7 commentaires sur “Retour sur une expérience…

  1. La responsabilité d’un jugement change probablement la lecture.
    J’ai pris également, depuis peu, l’habitude de surligner certains passages dans des livres (oh sacrilège) ou parfois d’écrire des commentaires à la volée dans les marges, sans aucune prétention, mais avec beaucoup de plaisir, à laisser filer mes réactions immédiates et spontanées à la lecture. Cela ressemble, à mon avis, à une sorte d’hommage silencieux à l’auteur.
    Combien de livres de réactions/réflexions de lecteurs pourraient être écrits sur les livres! ça fait rêver…

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  2. « l’utilisation superflue du suspense »…. et pourtant, tu nous laisses dans un vrai suspense… vivement le 15 juin! qu’on sache! (je suis sûr qu’on va être déçu…)

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  3. bonjour
    je cherchais à entrer en contact avec vous pour vous envoyer mon dernier roman.. « le dernier rendez-vous » paru chez PLON en mars. y a -t-il une adresse où je peux vous l’envoyer?
    bien à vous
    catherine briat

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  4. La remise du prix pendant la soirée du 15 juin est le dernier rendez’vous dans le cadre du Prix des lecteurs de l’Express. Je viens d’ailleurs d’apprendre que l’auteur (ou auteure… suspense …) sera présent (e ..?).

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