En deux mois, j’ai lu trois livres catalogués « roman noir américain ». Pour chacun d’entre eux, la 4ème de couverture cherchait à allécher le lecteur en pointant le « SUSPENSE », avec moult points d’exclamation et promesses de ne plus pouvoir lâcher le livre avant de l’avoir fini. Un peu – beaucoup, même – comme une bande annonce d’un film d’action américain. Moteur réel du roman ou simple argument de vente ?
Ces trois livres sont Sukkwan Island, de David Wann (Gallimard), La mort au crépuscule de William Gay (Le Masque) et Julius Winsome, de Gérard Donovan (Le Seuil).
J’ai déjà dit ici que je n’avais pas beaucoup aimé Sukkwan Island, dont le drame annoncé est prévisible dès les premières pages. Ce suspense n’est certainement pas surprenant. C’est la deuxième partie que j’ai préférée, l’errance du père encombré du cadavre de son fils. Quant à la fin, elle est baclée : quoi de plus facile que de faire noyer son héros pour finir un livre en queue de poisson !
Le deuxième, La mort au crépuscule, s’annonce aussi comme un thriller dont la lecture est censée jouer sur les nerfs du lecteur avide de frissons.
Le début est effectivement spectaculaire, avec une scène spectrale, implacable et mystérieuse. La suite est aussi noire, mais d’une autre trempe : le cadre de l’intrigue est la vie dans une petite ville du Tennessee avec un croque mort pervers, un frère et une soeur justiciers et un tueur sadique. Pas de doutes, on voit tout de suite qui sont « bons » et les « mauvais » ! L’atmosphère de cette ville où règnent l’alcool, une violence sourde et une grande détresse générale est rendue avec force et sécheresse à la fois. La menace rôde partout et nourrit le suspense. J’ai beaucoup aimé.
La deuxième partie est une course poursuite dans une forêt infernale et un affrontement final. Cette forêt rassemble tous les fanstasmes du Petit Poucet ; elle devient un personnage elle-même. Elle change d’aspect au fur et à mesure de la course-poursuite pour mieux perdre le héros. Elle est habitée d’êtres humains pittoresques à souhait, parfois touchants avec quelques notes d’humour. Ils seront autant de petits cailloux qui permettront au tueur de poursuivre le fuyard.
Mais la course doit continuer : c’est là que le roman devient bancal et caricatural. Bancal car cette course s’avère plutôt lente et parfois ennuyeuse ; on est bien loin de la poursuite halletante annoncée. Caricatural car les dernières pages sont expédiées pour aboutir à un dénouement grandguignolesque.
C’est bien là où est le problème. A vouloir faire du suspense le carburant principal de son livre, l’auteur se perd quelque peu dans la narration de son livre et finit par délaiser ce qui m’a paru le meilleur et le plus original du point de vue romanesque : la ville et sa petitesse desséchée, la forêt et sa profondeur habitée.
Le troisième livre est d’une toute autre eau. Julius Winsome vit seul avec son chien, Hobbes (clin d’oeil à celui qui disait que « l’homme est un loup pour l’homme ») au fin fond du Maine où l’hiver met la vie au ralenti, sauf celle des chasseurs. Son chien est abattu d’un seul coup de fusil. Julius cherche le tueur au bout de son Enfield.
Julius est un solitaire qui habite un chalet tapissé de plus de 3000 livres. Les mots sont, avec son chien, ses seuls compagnons. Sa mère est morte en le mettant au monde, Il a vécu avec son père jusqu’à la mort de ce dernier : c’est lui, un taiseux, qui lui a légué le goût des mots et des livres. Il a été amoureux mais la belle a préféré épouser un flic.
Julius, dont l’auteur affine le portrait tout au long du roman, tue de sang-froid. Il cherche le meurtrier de son chien avec application. Il déjoue avec habilité les recherches policières. Un homme froid, cruel et insensible ? Pas du tout. Un homme bon ? Peut-être pas. C’est plutôt l’innocence qui prévaut chez cet homme-là ! Innocence pour un meutrier… Oxymore sacrilège.
C’est cela qui rend ce livre stupéfiant ! Julius raconte son histoire avec une sorte de calme détachement, un rien frémissant de tout ce qu’il fait, de tous les soupçons qu’il a sur l’identité du meurtrier de son chien. Dans la plupart des romans noirs, le thème de la lutte entre le Bien et le Mal est le sujet principal du livre, avec des personnages archétypaux qui incarnent clairement l’un et l’autre. Dans Julius Winsome, la piste est brouillée, le tueur n’est pas forcément mauvais et les victimes ne sont pas forcément bonnes. La présence de la neige amortit, voire cache les ressorts habituels de cette lutte inhérente à l’être humain.
En lointain écho, cela fait penser à L’étranger de Camus, où le soleil, et non la neige, brouille les cartes du Bien et du Mal…
Le style est magnifique. Il suit le cheminement des pensées de Julius, son détachement, sa détermination, ses souvenirs, son délire paranoïaque parfois. Quelques scènes comme la mort du père, l’arrivée de la neige, le rêve des loups sont vraiment de toute beauté. Objets, lieux, personnages sont décrit toujours avec une grand justesse : les livres, la montagne, la neige, le fusil lui même, objet familial transmis depuis son grand-père mais qui n’a jamais servi à tuer depuis la guerre ; Claire, la femme qui est venue troubler sa solitude et qui est repartie, son père, silencieux lecteur, l’être humain dont il a été plus proche…
Et le suspense là dedans ? Oui, il y en a, puisque l’on veut savoir comment Julius va découvrir celui qui a tué Hobbes, le chien, comment il va se venger… La fin est inattendue.
Comme toi, je me suis affreusement ennuyée dans la deuxième partie de « La mort au crépuscule » qui commence pourtant très bien.
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Je ne lis jamais de romans noirs. Cela ne me tente pas. Mais à la façon dont vous en parlez, je ferais bien une exception pour le personnage de Julius, ces scènes de toute beauté. Et j’aime les fins inattendues ! Allez, je prends note 🙂
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