Jusqu’à présent, je n’avais guère prêté attention à « la rentrée littéraire ». Cette année, la fonction toute transitoire de membre du jury du Prix des lecteurs de l’Express.fr m’amène à lire certains livres de la « petite » rentrée littéraire de janvier. C’est dans ce cadre que j’ai lu deux livres qui représentent pour moi le pire et le meilleur de la création romanesque française actuelle.
Commençons par le pire : il s’agit du livre de Nicolas Rey, Un léger passage à vide (Editions Au Diable Vauvert). Au fait, qui est Nicolas Rey ? Ce serait mentir d’affirmer que je ne connaissais pas son nom. Il me semblait l’avoir entendu sur France Inter, chez Pascale Clark, je crois, et parfois chez Stéphane Bern (pas certain…). Mais je n’ai guère retenu ce qu’il avait dit, ni en bien, ni en mal. C’est donc l’esprit plutôt curieux et naïf que j’ai ouvert ce livre.
Première surprise, la photo de l’auteur en pleine page de deuxième de couverture ! Tiens donc, c’est une nouvelle coutume ? Je n’ai rien contre le fait de voir à quoi ressemble l’auteur du bouquin que je lis, quand il figure en médaillon sur la 4ème de couverture. Mais là, en pleine page … ? Est-ce un argument promotionnel et un outil marketing surtout quand il s’agit d’une personnalité, plutôt beau gosse de surcroît, qui semble avoir une petite renommée médiatique ? Faut-il aussi y voir le signe de la surveillance exercée par l’auteur, sorte de Big Brother littéraire, sur le lecteur ? Cela m’a laissé perplexe.
J’aborde la première page : il s’agit de la naissance du fils de l’auteur. Ouh là, je me retrouve tout de suite dans le piège très français de l’autofiction, qui n’est pas franchement le genre que je préfère (à part le contre exemple éblouissant d’Annie Ernaux). Le style est très enlevé, écrit dans le style d’une chronique radiophonique, style très agréable à entendre quand il s’agit d’orfèvres comme Vincent Rocca, François Morel ou Didier Portes, pour citer des chroniqueurs qui officient également sur France Inter. Mais là, cela sent très vite le style faussement négligé du publicitaire qui cherche à accrocher le chaland : la recherche du bon mot à tout prix, de la phrase choc, de la citation à retenir.
Je continue. Les chapitres sont très courts, deux trois pages tout au plus. Au moins, on peut s’interompre facilement dans sa lecture en fonction des arrêts de métro. Et se déroule l’histoire de ce monsieur qui semble avoir une vie sentimentale compliquée (c’est courant), avec un penchant pour l’alcool et certaines substances chimiques dont il semble très dépendant. D’autres personnages traversent sa vie et son livre : son ex compagne, d’autres femmes, des amis (?) évoluant autour du monde cryptomédiatique habitué aux bars du 8ème arrondissement ou pas trop loin. On croise aussi Monica Bellucci !
En fait, nous voilà dans la description de la descente aux enfers et de la renaissance (n’ayons pas peur des grands mots…) de Monsieur Nicolas Rey. Au passage, on découvre une personnage assez pathétique, balançant entre auto-apitoiement et cynisme dans l’air du temps, terriblement autocentré sur ses petites misères. Il s’offre tout de même de petits satisfecit notamment en dernière page (oui, je suis allé jusqu’à la dernière page).
En lisant ce livre jusqu’à la fin, j’ai ressenti une indigestion comme lorsque je commence à picorer dans une assiette d’Apéricubes et que je finis par la vider complètement : ça pèse lourdement sur l’estomac. Ce livre n’a même pas la grâce d’être léger !
Remarque qui n’a (presque) rien à voir : la qualité du papier de ce livre édité chez Au diable Vauvert, ne vaut pas mieux que celui d’un « Poche ». La sensualité du papier de l’édition originale est complètement perdue. Ne pas s’étonner si on passe au livre électronique dans ces conditions…
Passons au meilleur : il s’agit du dernier livre de Patrick Modiano, L’horizon (Gallimard).
J’ai toujours la même appréhension quand je commence un livre de Modiano : va-t-il se répéter ? Sa fameuse petite musique et son « émotion diffuse » vont-ils enfin m’ennuyer ? Ce n’est pas encore cette fois-ci que je me suis lassé, bien au contraire.
Pourtant, j’ai retrouvé dès les premières pages, les premières lignes, la même atmosphère floue et nostalgique propre aux romans de Patrick Modiano : les personnnages dessinés à touches effleurées, des rencontres dont on ne sait jamais si elles sont décisives ou non, des sauts dans les souvenirs remontant jusqu’aux générations précédentes dans lesquelles le présent se reflète, se repète, ou se dissout. On devient somnanbule en suivant ces somnambules. Par contraste, Modiano s’attache, comme à son habitude, à une description méticuleuse des lieux, nomme les rues, les stations de métro à Paris ou à Berlin, décrit les bords de lac à Annecy ou à Montreux…
Entre l’espace décrit de façon si précise et le temps s’écoulant de façon si confuse, les personnages déambulent, se rencontrent, se quittent, disparaissent, réapparaissent… Ils cherchent à fuir des menaces sourdes dont le souvenir les hante. Des scènes fortes, voire violentes, scandent le récit comme des récifs qui surgissent dans une mer embrumée.
Mais que dire de plus sur ce superbe livre, servi par une langue d’une grande limpidité, déjà encensé par la critique et plébiscité par les lecteurs ? Noter la très belle expression, en page 156, « des souvenirs en forme de nuages flottants » pour évoquer ce qui peuple la mémoire de chacun d’entre nous et qui est le sujet central de toute l’oeuvre de Modiano. Noter aussi que, dans L’horizon, la mémoire n’est plus seulement ce qui donne du sens et de la cohérence à la vie, elle devient aussi une force qui permet de trouver le courage pour affronter un destin qui reste indéfini. C’est étrangement volontariste. D’où cette presque Happy End, assez inattendue… Presque….
Annonce qui a tout à fait à voir : demain, jeudi 25 mars, numéro spécial de Libération, dont je ne suis pas lecteur assidu, entièrement rédigé par des poètes et romanciers, dont Patrick Modiano…
Ah, bien! figure-toi que j’allais justement commettre un billet sur le dernier roman de Modiano, que je viens juste de lire, entre l’avion et l’hotel. J’ai beaucoup aimé et mon billet allait dire à peu près les mêmes choses que ce que tu en dis, moi aussi, j’étais charmé par la précision de l’espace et l’extrême vague du temps. Alors, est-ce bien la peine….
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Oui, c’est la peine, car je suis sûr que tu dois avoir d’autres choses à dire et d’autres façons de le dire…
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Oui, Modiano a écrit un article ce matin sur le film « Une Education » dont j’avais pris, lors de sa sortie annoncée, l’affiche en photo sur mon blog, à propos de Sade à la Bastille.
Modiano ferait un excellent critique cinématographique (ou littéraire !) car il sait ne pas raconter de A à Z ce qui se voit sur l’écran déroulant un film, ou se lit sur les pages d’un livre : son « impression » suffit, et elle a la meilleure qualité possible.
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mes souvenirs des lectures de Modiano sont aussi présents dans les nuages qui nous survolent, discrets et silencieux, mais qu’on se prend parfois à détailler avec, à chaque fois, le même étonnement et la même fascination, jusqu’au délitement.
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France loisirs lance un roman participatif avec Anna Gavalda. À découvrir à partir du 21 juin sur Facebook. En attendant cette date je vous invite a rejoindre l’événement.
http://www.facebook.com/event.php?eid=133997769947498&ref=mf
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