Invictus, mythe et réalité

Affiche InvictusLa grande affaire de Clint Eastwood, ce sont les mythes : les construire, les célébrer, les détruire. Il a porté très haut dans sa filmographie deux mythes fondateurs américains, celui du policier et celui du cow-boy. Et il les a démolis avec une certaine délectation comme dans Gran Torino. Il a aussi évoqué le mythe sacro-saint du rôle des Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale en 2006 et 2007 avec Mémoires de nos pères et Lettre d’Iwo Jima. Ou celui du joueur de jazz de génie, Charlie Parker, dans Bird.

Avec Invictus, Clint aborde un mythe vivant de la fin du XXème siècle, Nelson Mandela, sa victoire sur l’apartheid, la construction d’une nouvelle Afrique du sud. Compte tenu de l’hyper-médiatisation du film, tout le monde sait que ce mythe est illustré par l’histoire emblématique de la Coupe du Monde de rugby de 1995 jouée en Afrique du sud et gagnée, à l’encontre de tous les pronostics sportifs, par cette même Afrique du sud qui avait élu l’année précédente Mandela comme président.

Morgan Freeman dans Invictus (photo Warner Bros)

Invictus raconte l’instrumentalisation complète d’un sport au service d’un objectif politique poursuivi par un visionnaire idéaliste et calculateur. Car il s’agit bel et bien d’une instrumentalisation : Mandela a eu la fulgurante intuition que la victoire de l’équipe de rugby presque totalement blanche allait provoquer une explosion d’allégresse de tout le peuple sud-africain, dans la mesure où Mandela lui-même afficherait son soutien total à cette équipe pourtant honnie de la majorité noire. Et donc servirait à la naissance d’une conscience nationale commune à tous les Sud-Africains, de quelque race qu’ils puissent être.
Le premier geste de cette manipulation a été de convaincre les noirs de ne pas changer ni le nom, ni au drapeau de l’équipe des Springbocks, si chers aux blancs. Son intervention est un modèle de réflexion politique sur la façon de ne pas couper un peuple en deux. Le deuxième geste est l’invitation du capitaine des Springbocks à prendre le thé avec lui : modèle de séduction et de confidences personnelles amenant son interlocuteur à se rallier sans réticence à son objectif.
Clint Eastwood met en scène le mythe en montrant le charisme personnel de Mandela, sa légitimité politique du fait de son passé d’opposant enfermé en prison, et son ambition de bâtir une nouvelle nation.

 Morgan Freeman et Matt Damon dans Invictus (photo Warner Bros)

Comme dans la plupart de ses films depuis les années 90, Clint Eastwood fait preuve d’un grand classicisme, avec une réalisation très efficace mais un rien trop académique et des images trop léchées. Les acteurs sont habités par leurs rôles (Morgan Freeman bien sûr, mais aussi Matt Damon qui joue avec modestie et crédibilité le rôle du capitaine conscient d’être le jouet d’un destin qui le dépasse). Comme toujours, l’émotion est portée jusqu’à l’incandescence. 
C’est très hollywoodien, c’est magnifique, j’ai marché à 150 %. Alors que j’étais resté de marbre devant l’hyper romantisme de Bright Star, le film de Jane Campion sur les amours contrariées du poète anglais John Keats, j’ai regardé la première partie d’Invictus le coeur bondissant et l’esprit vibrant devant la façon dont Mandela faisait preuve à la fois d’idéalisme et d’habilité pour renverser une situation politique périlleuse ; et la seconde partie du film, avec les yeux embués de larmes quand se joue le drame de cette Coupe qui allait apporter à l’Afrique du sud sa victoire et l’espoir de son unité possible.
L’émotion m’avait emporté, la célébration du mythe m’avait enchanté.

Morgan Freeman et Matt Damon dans Invictus (photo Warner Bros)Mais jusqu’où est allée l’instrumentalisation de cette Coupe ? N’a-t-elle pas été entachée d’irrégularités graves à l’encontre des deux dernières équipes adverses, la France et les All Blacks ? Il faut lire à ce sujet le billet passionnant dans le blog Nice Rugby de Julien Schram, Invictus, du rêve à la réalité : la glorieuse incertitude du sport a fait place à des manipulations aboutissant à l’orchestration totale d’une victoire improbable sportivement mais nécessaire politiquement. La manipulation n’est plus dans les discours et les gestes symboliques, elle est dans la mise des équipes adverses en incapacité physique de jouer à plein. Ceci n’est pas évoqué une seule seconde dans le film de Clint Eastwood. 

Seul le mythe reste.

4 commentaires sur “Invictus, mythe et réalité

  1. Bonjour Jean-Marie,
    Enfin,j’ai été voir INVICTUS,puis j’ai lu le billet de Julien SChram ainsi que le tien.Et je me suis interrogée:qu’aurait été le film si Clint Eastwood y avait introduit ces actes d’irrégularités et manipulatoires que rapporte Julien Schram?Un film historique et narratif d’un EVENEMENT de l’histoire du sport mondial relatant les nobles intentions politiques du charismatique MANDELA au rêve fédérateur,sa stratégie ,une victoire obtenue à coups d’irrégularités! au nom d’une fin qui justifierait les moyens!! film réaliste ,donc,et véridique!! s’il en fallait!HARO! alors sur ce charmeur ,ce séducteur de MANDELA ,fumisterie que ses rêves!MISE A BAS,MISE A TERRE ,MISE EN PIECES de MANDELA!!et oui, la fin ne justifie pas les moyens!!!!!!!!
    Je ne pense pas pour autant que Clint Eastwood ait cherché à tronquer ni falsifier l’histoire. Mais à 80ans,n’a t-il pas pris le parti de braquer l’objectif exclusivement sur le mythe MANDELA,porteur d’espoir et d’ un rêve d’avenir fédérateur pour une population noire et blanche fort stigmatisée par un passé de souffrances,de sang……….de HAINE!! notre présent ,n’est-il pas celui d’une humanité déboussolée,relâchée,menacée,et pas seulement par l’environnement et le réchauffement climatique,!!!!!

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  2. ….suite, car je n’avais pas fini ,mais mon doigt s’est égaré ,on ne sait pourquoi!,vers » » envoyer » .
    Car enfin Clint Eastwood n’est pas sans connaitre ce que relate J.Schr am.Ce film n’a rien à voir avec ses précédents:ni policier,ni cow-boy,mais un contexte politique spécifique voire symbolique,une et des équipes de rugby à leur firmament, et ne pas oublier ,un certains nombre de spectateurs-témoins encore de cet évènement.Donc l' »omission »,à mon avis ,est faite sciemment!et ne peux ,que le desservir:il a choisi de ne pas être un puriste,tout comme l’a choisi MANDELA ,il a pris le parti de choisir entre la narration d’une vérité historique somme toute banale! qui laisse sans élans et sans allants et de ne se fixer que sur la perspective du rêve féderateur de MANDELA et donc de l’ espoir !Quitte à déplaire à certains!!

    Bon ,à bientôt ……………………………………Monique

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  3. Pas terrible. Comme si le rugby avait vaincu l’apartheid. Ce qui est faux car il existe toujours malheureusement et le racisme est toujours présent sur la planète et notamment en Afrique du Sud.
    La lutte contre le racisme et le combat pour les droits de l’homme sont autrement plus nécessaires et ce film a du intéressé certains beaufs réacs du rugby mais il a été fait pour eux aussi.

    Même si Morgan Freeman interprête bien Mandela le film est quand même un navet. De plus on dénonce très bien les fachos dans le foot, il faut savoir qu’en France il y en a autant dans le rugby qu’on dénonce peu. Pour un film traitant de la lutte contre l’apartheid et des droits de l’homme en Afrique il doit y avoir autrement mieux et pédagogique.

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