Raconter une histoire d’Américains vivant à San Francisco dans les années 80 en 690 sonnets, c’était le pari insensé de l’écrivain indien, Vikram Seth, à l’époque où personne ne le connaissait. Tout part de sa découverte, dans une bibliothèque de Stanford où il tentait de finir une thèse d’économie, d’un des plus grands romans russes, Eugène Onéguine de Pouchkine, écrit entièrement en vers. Je ne connaissais de Vikram Seith que Un garçon convenable, une sorte d’Autant en emporte le vent indien se passant dans les années 50 : je l’avais lu pendant un voyage en Inde et cela m’avait passionné.
Golden Gate (Grasset) est paru en anglais en 1986, mais sa traduction française, réalisée avec un grand talent par Claro, n’est sortie qu’en mars dernier. On comprend d’ailleurs aisément combien ce travail de traduction était difficile et risqué.
Un des pièges de genre de livre est de se laisser à la spécificité de sa forme, à la virtuosité du procédé. J’ai donc choisi de le lire comme un roman en prose, sans trop m’attacher à la scansion des vers. Mais quand j’interrompais sa lecture, j’avais comme une envie de parler en vers aussi, alors que je n’ai jamais été capable d’en écrire un seul. Ce choix de la narration en sonnet m’a donc profondément imprégné. Et je ralentissais ma lecture pour mieux apprécier la versification, la musique de la langue.
Mais la forme très virtuose de ce roman pouvait dissimuler un fond un peu creux. C’est d’autant plus le risque que ce roman met en scène les histoires amoureuses plus ou moins compliquées de trentenaires. Chasses-croisés amoureux sur fond d’une ville en pleine libération sexuelle, ce ne pourrait être qu’une version versifiée des Chroniques de San Francisco, ce ne pourrait être qu’un témoignage de l’air de ce temps là, d »un temps « que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ».
C’est dire que j’abordais ce livre avec un certain nombre de préventions.
Ces préventions se sont évanouies au fur et à mesure de la lecture de Golden Gate. D’abord, à cause de la finesse de la description des rapports humains, amoureux ou non, en écartant presque toujours les caricatures. Ensuite, par la présence d’animaux, des chats, un iguane, véritables personnages du roman, qui lui donnent une fantaisie et une cocasserie inattendues. D’ailleurs l’humour est presque toujours en filigrane du récit, ce qui évite toute lourdeur. Et aussi par l’évocation des débats publics de cette époque dont on peut voir qu’ils sont toujours à l’ordre du jour en 2009 : San Francisco était et reste une ville où se pose toujours la conscience de la possibilité d’un avenir différent et où certains combats sont toujours recommencés : l’égalité des sexes, les combats contre le pouvoir des grosses entreprises, la consommation plus écologique (qui est d’ailleurs aussi quelque peu brocardée).
La fin du livre devient grave : la mort y est présente, les regrets et les remords aussi : « Le passé a un goût et ce goût est amer » est presque la dernière phrase du livre. Mais comme on est en Amérique (même si l’auteur est indien) le derniers vers est : « Alors ressaisis-toi et séche enfin tes larmes ».
En refermant Golden Gate, j’ai pensé à Six Feet Under, ma série américaine préférée qui se passe en Californie aussi. Et à ce dernier épisode inoubliable où la mort des principaux personnages est racontée une à une. Et de penser à Montaigne : « Que philosopher, c’est apprendre à mourir » (Livre I, chapitre XX).
Les vers de Vikram Seth deviennent-ils ceux qui nous rongent quand nous sommes six pieds sous terre ?
ah! la chute est belle… bravo. D’autant plus qu’elle est inattendue.
Je me suis toujours gardé des livres en vers, mais là, tu me donnes envie d’aller y voir de plus près… Amitiés.
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Pareil.
Je n’ai pas aimé Chroniques de San Francisco, mais comme grand fan de 6 Feet Under, season 1, j’irai voir de plus près.
NB : tu m’avais eu dès : « Tout part de sa découverte, dans une bibliothèque de Stanford où il tentait de finir une thèse d’économie, d’un des plus grands romans russes, Eugène Onéguine de Pouchkine ». Aaahhh…
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