Ne cherchez pas, ce n’est pas un couple de « pipole », ni un nouveau duo comique : c’est un prénom, celui de l’ex footballeur Eric Cantona, et le nom d’une ville d’Israël au bord de la Méditerranée, dans les faubourgs de de Tel Aviv.
Pourquoi mélanger ces deux noms? Tout simplement parce que les deux derniers films que j’ai vus ont été Looking for Eric, du britannique Ken Loach et Jaffa, de l’israélienne Keren Yedaya. Il n’y a aucun rapport entre ces deux films, en dehors du fait qu’ils ont été présentés tous les deux au dernier festival de Cannes.
Looking for Eric est surprenant, venant d’un cinéaste comme Ken Loach, connu essentiellement pour ces films très engagés, dénonçant avec virulence les injustices dans son pays et dans le monde entier. Le propos militant n’occulte presque jamais le très grand talent du cinéaste, depuis Family Life (1971) jusqu’à Le vent se lève (2006) en passant par le poignant Sweet Sixteen (2002), trois films gravés dans ma mémoire.
Ken Loach n’était pas attendu dans le domaine de la comédie. Looking for Eric en a l’apparence, doublée bien entendu par une belle chronique de la solidarité bagarreuse entre les exploités de la société.
Cantona est l’ange gardien d’Eric Bishop, postier au beau visage triste, désespéré face à la faillite de sa vie personnelle, mais entouré par ses potes du boulot qui tentent de le remonter. L’ange Cantona lui souffle le moyen de sortir de la mouise à coups d’aphorismes costauds et de métaphores footballistiques sous le signe, non pas du but à marquer, mais de la « passe » à donner. Notre postier retrouvera le sourire, sa fierté, ses fils prêts à chavirer dans le grand banditisme et, aussi et surtout, son premier amour, celle qu’on oublie jamais. On se croirait presque dans une comédie sentimentale américaine à laquelle il manquerait à peine un zeste de mièvrerie…
Pourtant j’ai été scotché, la larme à l’oeil et le sourire aux lèvres. En sortant, j’ai pensé à un film qui a maintenant plus de 60 ans, La vie est belle, de Frank Capra. Là aussi, un ange gardien vient sauver un brave homme au bord du suicide. Tout finit bien aussi. Ken Loach a simplement remplacé les flocons de neige de Noël par les pintes de bière avant les matchs de foot. La vie est belle, qui a d’abord été quelque peu méprisé comme étant une gentille bluette mièvre, est maintenant considéré comme un des chefs d’oeuvre de Franck Capra.
Looking for Eric, jugé gentiment comme une oeuvre mineure de Ken Loach, parviendra-t-il à parvenir au statut d’oeuvre majeure dans la filmograhie de Ken Loach ? Réponse dans … 60 ans !
Pas de trace de comédie dans Jaffa ! La première scène dans un garage de banlieue dégage une électricité surchargée dans l’air. L’hostilité déclarée de Meir, le fils du garagiste juif, face aux deux ouvriers arabes (mais aussi israéliens) se heurte encore à la lassitude de son père et au silence de sa soeur. La scène du dîner familial qui suit n’allège guère l’ambiance, même quand la mère de famille se fait masser les orteils par son mari, puis par sa fille. Le fils, lui, est sorti, suite à une dispute avec sa mère.
Le décor est planté. Mais ce n’est pas qu’un décor : Jaffa, sous couvert d’une chronique familiale dramatique, ouvre tout grand la faille qui sépare les Juifs et les Arabes vivant ensemble (??) en Israël. Il ne s’agit pas des Palestiniens des territoires occupés, mais des Arabes citoyens israéliens vivant en Israël. Meir est tué accidentellement par Toufik, le jeune ouvrier arabe, au cours d’une violente dispute. Le sort en ai jeté.
Il y a du Roméo et Juliette dans ce film ! Car Mali, la fille du garagiste, et Toufik sont amoureux depuis l’enfance. Ils prévoyaient de fuir ensemble. Contrairement aux héros de la pièce de Shakespeare, les amoureux ne mourreront pas mais se retrouveront, après neuf années de prison pour lui et au prix d’arrachement familial pour elle. Le temps de faire le tour des hypocrisies, des désespoirs, des incompréhensions et les aveuglements qui conduisent à la destruction de la famille, sous prétexte de sa sauvegarde. Tout ceci dans une ambiance étouffante de « non-dits ».
La dernière scène est de toute beauté, au bord de la mer, toute de regards, de silences, d’interrogations… Si Jaffa est une métaphore du conflit israélo-arabe, on peut trouver, dans ce film âpre et noir, un soupçon d’espoir. Celui que peut apporter le métissage, la recomposition, le franchissement des frontières. Mais le mur à franchir reste haut, très haut.
Décidément, le cinéma israélien est souvent exceptionnel : une comédie comme La visite de la fanfare, un drame sentimental homo Bubble , le terrifiant Z32 en passant par Valse avec Bachir et le tout récent Le sens de la vie pour 9,99 $. Le cinéma palestinien n’est d’ailleurs pas en reste avec notamment Elia Suleiman, dont Intervention divine m’avait enthousiasmé par son humour ravageur. J’attends avec impatience son dernier film, Le temps qu’il reste, un des oubliés du palmarès du dernier festival de Cannes.
Ces films israéliens ou palestiniens, loin de toute propagande, peuvent-ils devenir des anges gardiens qui souffleraient aux protagonistes la bonne ‘ »passe » qui permetrait de marquer le but de la paix ?