Dans la préface de l’album publié à l’occasion de l’exposition « Une image peut en cacher une autre« , Jean-Hubert Martin, conservateur général du patrimoine et commissaire de ladite exposition, conclut par cette magnifique phrase : » L’ambiguïté n’est pas le supplément de la création, elle en est le fondement« .
C’est précisément pour cette raison que je suis sorti un peu déçu par cette exposition. Car, à trop montrer, l’ambiguïté se dissout. Dans cette exposition, je regardais les visiteurs en train de scruter chaque toile, chaque sculpture, chaque objet pour deviner où était « l’autre image », le profil d’un homme dans la montagne, le sexe d’une femme dans une fleur ou de reconnaître les légumes composant les fameux portraits d’Arcimboldo. Cela me rappelait le jeu des 7 erreurs de mon enfance où il fallait trouver les 7 différences entre de deux dessins apparemment semblables.
Cela ne veut pas dire que tout ce qui est exposé manque d’interêt, bien au contraire, Mais le côté « devinette » entraîne le regard à l’interrogation, voire à l’inspection : cela peut flatter la vanité du spectateur qui découvre un mystère, cela peut exercer l’oeil de l’admirateur, cela peut développer l’esprit d’analyse de l’amateur, cela peut avoir un intérêt documentaire pour le critique ou le spécialiste.
Je ne rejette pas du tout le travail d’enquête et d’étude que ces derniers réalisent sur les oeuvres d’art. En ce qui concerne les arts plastiques, l’ensemble des films « Palettes » d’Alain Jaubert est d’ailleurs absolument passionnante car elle apprend à voir, à regarder, à décrypter. Ce travail d’analyse n’est pas un fin en soi, il permet d’établir une complicité avec l’oeuvre pour dialoguer avec elle, s’ouvrir à elle, entrer en résonnance avec elle, en saisir l’ambiguïté.
Cette ambiguïté que j’aime retrouver aussi bien dans les tableaux de Bacon qui frappent et choquent, que dans ceux de Rothko qui invitent au silence, aussi bien dans les multiples autoportraits de Rembrandt que dans les ciels infinis de Turner, aussi bien chez les marcheurs de Giacometti comme chez les esclaves de Michel-Ange…
Et aussi dans la musique de Mozart. En écho à cette réflexion, cette phrase extraite d’une interview parue dans Télérama du pianiste polonais, Piotr Anderszewski, me rejouit particulièrement : « Quand vous interprétez Beethoven, il vous pompe complètement avec son ego surdimensionné. Mozart, lui, vous donne lui quelque chose de précieux et d’impalpable : le privilège d’être en vie« . Et de conclure en parlant des concertos pour piano de Mozart : « C’est une musique de conversation, jamais abstraite, dont il faut trouver les points de suspension, d’interrogation ou d’exclamation, les pleins et les déliés des voix. Je ne comprends pas les interprètes qui jouent Mozart de façon « pure ». »
Mozart l’ambigu, car il n’impose rien, il propose la conversation et l’échappée belle, la vie dans ces composantes infiniment variées et l’infini qui découle de nos vies multiples. Pour le rencontrer, il ne demande qu’une seule chose : l’écoute attentive.
Mes grandes émotions artistiques ont toujours été la rencontre de l’ambiguïté du créateur, de son interprète et celle de mon regard, de mon écoute, état parfois second qui permet d’accueillir la beauté, l’amour, la vie.
La beauté, comme l’amour, restera toujours une rencontre.