Pourquoi êtes-vous pauvres ?

couverture VollmannQuestion provocatrice ! Le parti-pris de William T. Vollmann n’a pas grand chose à voir avec les enquêtes et les études sociologiques « habituelles » sur la pauvreté. Il pose cette question car il cherche à savoir le propre regard des pauvres sur eux-mêmes, sur les riches, sur les raisons qui seraient à l’origine de leur pauvreté. Pas de jugement, mais de la compassion, de la colère contre le système, tout en n’oubliant pas qu’il fait partie des « riches » et que c’est en tant que tel qu’il les questionne.

Pas de cynisme, non plus : en introduction, il reconnaît que « ce livre regorge de spéculations et d’interprétations, ces dernières reflètent mes efforts sincères pour conférer un sens à des phénomènes« . Et cite ensuite la phrase de Céline au sujet des pauvres  » Ils se détestent et en restent la » puis ajoute : « C’est peut-être leur privilège. Ce n’est pas le mien« .

Pas de choix idéologique non plus, ni de propositions de voies politiques, malgré sa description implacable des effets pervers du système (le chapitre sur le Kazakhstan « crimes sans criminels » est éloquent). Il dresse ce constat : « Cet ouvrage n’est pas un livre « pratique ». Personne n’y apprendra ce qu’il faut faire, et encore moins comment s’y prendre. Tout ce que je sais, c’est que la normalité de notre époque rend quasi impossible le partage des ressources.« (p. 236)

Vollmann  - photo Ken MillerLa valeur de la statistique ? Il présente au début un tableau des revenus quotidiens pour toutes les personnes interviewées. Mais, en page 227, il se demande comment les Nations Unies calculent l’indice de pauvreté. « Laissez tomber. Cela ne rendra pas les pauvres et plus riches. » ajoute-t-il, récusant toute valeur sur les chiffres venant de tous bords.

Pas d’idéologie, pas de statistiques, alors à quoi sert ce livre, dont l’auteur est avant tout un romancier ?

Wan, mendiante de Bangkok - photo de William VollmannPour relater les témoignages et les reportages, Vollmann utilise une méthode très particulière : payer les gens pour les interviewer en passant la plupart du temps par l’intermédaire obligatoire de l’interprète, ne pas tenter l’illusion de l’immersion, respecter la subjectivité de chaque déclaration, même celle de Wan, mendiante à Bangkok :  « A ton avis, pourquoi certaines personnes sont elles riches et d’autres pauvres ?. Je trouve que je suis riche, dit-elle sombrement » (page 43).
Alors quel crédit peut on donner aux affirmations des un(e)s et des autres ? La position d’interviewé(e) ne fausse-t-elle pas la vérité ? Et aussi la sincérité, pour ceux qui veulent faire plaisir à celui a donné de l’argent, ou bien qui savent que le stylo ou le magnétophone peut être tribune virtuelle car ils ont conscience que leurs dires auront des chances d’être rendus publics ?
Et la position de celui pose les questions ? Ne fait-il que promener son insatiable curiosité ? Ce livre est-il une tentative de rédemption personnelle face au sentiment de culpabilité du riche ? Dans son introduction, Vollmann donne une réponse : « Je n’ai rien d’honorable à tenter, et ne peux que montrer et comparer dans la mesure de mes capacités. » (page 14).

Oui, toute la valeur du livre, à mes yeux, est de vouloir montrer, et non démontrer ; vouloir comparer et non trancher. C’est un livre sur le regard (128 photos sont regroupées à la fin du livre). Trois chapitres sont appelés ‘indifférence », « difformité » et « indifférence ». La meilleure façon de ne pas considérer la pauvreté n’est-elle pas de la rendre invisible, de ne pas la regarder ou bien de la rendre monstrueuse, donc anormale ?

En outre, ce regard est comparatif, pas seulement entre les pauvres, mais aussi avec les riches. Les deux derniers chapitres sont une réflexion sur la richesse, la peur du pauvre, la distance gardée, la main tendue. Avec cet aveu désarmant : « Je veux que les pauvres m’aiment » (page 273).

Curieux livre, passionnant, très dérangeant. Mais lit-on toujours pour être conforté dans ses propres certitudes ?

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