Trembler devant un tableau, de Bacon à Rothko

Londres sur la Tamise, le 4 octobre (photo Jmph)

En octobre dernier, je suis allé, avec quelques amis, passer une journée à Londres pour voir deux expositions des deux peintres, Françis Bacon et Mark Rothko, qui me font trembler quand je regarde leurs tableaux. Je veux dire, trembler physiquement.

Livres BaconC’est en 1996 que j’ai tremblé pour la première fois devant les toiles de Bacon, quand j’ai visité la grandiose rétrospective qui lui était consacrée au Centre Pompidou. Je ne connaissais de Bacon que ses visages et ses corps torturés : cela m’effrayait, m’empêchait d’aller plus loin. En sortant de cette exposition, malgré la foule, j’étais tremblant et bouleversé. Au delà des corps et des visages torturés, que je ne prenais que comme une provocation, j’ai rencontré le chaos de la condition humaine, le cri de la souffrance, la tragédie de l’amour. Ce n’est pourtant pas suffisant pour faire une oeuvre d’art majeure. Car Bacon n’est pas qu’un simple échottier de sa propre vie, même si’elle a inspiré bon nombre de ses toiles. Ses tableaux sont le résultat d’une « mise en scène »  particulièrement rigoureuse, les éclairant de couleurs vives, les encadrant de façon stricte, en prenant à revers les codes habituels du drame de la peinture. Pour mieux exploser la tragédie, l’absurdité, la violence. A la fin de sa vie, il ne montre plus la violence, mais l’effet de la violence, le cri, le déchirement.
Depuis cette grand rétrospective du Centre Pompidou, chaque fois que j’en avais la possiblité, je suis allé voir d’autres expos qui lui étaient consacrées, comme celle du Musée Maillol en 2004, le Sacré et le Profane,  et celle du Musée Picasso, Bacon-PIcasso, la vie des images en 2005 (c’est le travail de Picasso qui a définitivement décidé Bacon à peindre). Et le même effet, un tremblement devant ce chaos figuratif.

Je me demandais si j’allais retrouver cette même réaction quasi-physique avec cette exposition londonienne à la Tate Britain. Oui, sans conteste, malgré la foule, je suis sorti tremblant et bouleversé, Bacon ne cherche pas à ménager celui qui regarde ses tableaux. Soit il faut les détester, et s’en éloigner (à moins d’être masochiste), soit il faut les aimer et chercher pourquoi ces oeuvres si violentes et désespérées trouvent tant d’échos en soi même. A chacun de trouver sa propre réponse. Bacon, le peintre de de la représentation de l’horreur.

Livres RothkoC’est grâce à une exposition au Musée d’art moderne de la Ville de Paris que j’ai découvert Rothko en 1999, comme de nombreux parisiens. L’affiche était magnifique mais pouvait laisser croire à un simple peintre décoratif à cause de ses aplats colorés et chatoyants. L’exposition suivait l’ordre chronologique, de ses débuts encore figuratifs juqu’à ses derniers et immenses gris et noirs, préludant à son suicide. Le Palais de Tokyo se prête parfaitement à ce genre de parcours. Je l’ai suivi, empoigné progressivement par la force irrésistible et la perfection du dispositif des bandeaux de couleurs qu’il a fait évoluer pendant presque 30 ans, sans jamais se renier, ni se répéter. Je suis sorti sans être capable de parler, en tremblant d’avoir suivi ce parcours sans retour vers le silence. Rothko, le peintre du silence…

J’ai revécu une expérience semblable à la National Gallery de Washington où une salle complète, immense et peu éclairée, lui était consacrée quand j’y suis passé en 2004. J’ai eu la chance d’y rester seul pendant une bonne demi-heure, le temps de me laisser immergé par le frémissement des couleurs, par leur permanente mobilité, même quand elles sont sombres. Je ne me rappelle pas à quoi j’ai pensé pendant tout ce temps. Pensais-je ? je ne crois pas. J’étais dans la sensation pure, dans le voyage vers un intérieur dont Rothko était le passeur. Un voyage dans le silence et vers le silence. Je tremblais à la fin de cette demi-heure.

Tate Modern le 4 octobre (photo Jmph)
Allais-je retouver cet état en allant voir cette exposition qui était située dans la monumentale Tate Modern ? Il y avait un monde fou, des salles sombres, du brouhaha, du mouvement… pas possible d’accueillir le silence. On pouvait juste essayer de déceler les subtiles différences de couleurs très proches, les traces de pinceaux ou de brosses, on étudiait, sans vraiment ressentir. Je suis sorti sans trembler, un peu déçu d’avoir loupé mon rendez-vous de Rothko.

Rothko en bout de salle au SFMOMA (photo Jmph)C’est quelques semaines après que j’ai retrouvé une sensation un peu équivalente à celles ressenties à Paris et à Washington. C’était au San Francisco Modern Art Museum. Un de ses très grands formats s’imposait au bout d’une enfilade de grandes salles claires, évident dans son apparente simplicité, ne révélant son mystère et sa magie qu’en s’en approchant.

Doucement s’ouvre la porte du silence…

Rothko au SFMOMA (photo Jmph)

5 commentaires sur “Trembler devant un tableau, de Bacon à Rothko

  1. ah oui, je suis bien d’accord. Le dernier là, celui que tu montres juste au-dessus, même en reproduction et en petit format sur un écran d’ordi, il vibre, j’ai vu bouger le rectangle rouge!

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  2. Cela s’appele de la merde il faut etre tres bete et sans gout pour mettre 1€ dans ce genre de betisse avec un rouleau n’impote quel imbecile fait la meme chose le monde meure et l’art n’existe plus

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  3. Au hasard de mes vagabondages sur les sites et blogs relatifs à l’art moderne, je suis arrivée sur cette page. J’aurais aimé trouvé ces mots pour dire combien on peut trembler devant une toile.
    Bien sûr, certaines émotions ne peuvent se faire jour que devant la réalité de l’oeuvre … et il est bien dommage que des ignares obtus ne puissent comprendre cela !

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  4. J’ai fait la même découverte « illuminée » que vous un jour de 1999 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Je m’en souviens comme si c’était hier. Et aujourd’hui, encore et toujours, l’expérience sensible que j’ai pu vivre est présente. Je ne connaissais rien de l’artiste Mark Rothko, j’étais de passage à Paris et j’avais entrevu l’affiche de l’exposition qui m’avait simplement attirée. J’ai été subjuguée, saisie par la vue de ces toiles ; j’étais en pleurs devant ces immensités colorées et seules les salles rassemblant des tableaux « noirs » arrivaient à me calmer. Merci pour votre article qui me remémore ces moments chargés d’émotions.

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