Valse avec Bachir

Affiche du film Valse avec BachirBeaucoup de choses ont déjà été dites sur l’audace de Valse avec Bachir : un documentaire sous forme de dessin animé à propos du massacre des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, à Beyrouth en septembre 1982. C’est en tout point un film inoubliable !

Mais n’y cherchez pas des informations inédites sur ce qui s’est passé durant ses nuits terribles de septembre 1982, juste peut-être un rafraîchissement de la mémoire.

Mais justement, c’est un film sur la mémoire, celle que les soldats perdent quand ils ont été les témoins, voire les acteurs plus ou moins involontaires d’actes de barbarie totalement injustifiables, même s’ils peuvent être expliquables. Le film retrace l’enquête faite par un de ces soldats, le réalisateur Ari Folman lui-même, sur son amnésie totale concernant ces massacres alors qu’il était à Beyrouth à cette époque.

L'apparition dans Valse avec Bachir  - crédit photo Le PacteLe choix du dessin animé pour traiter ce sujet est tout à fait approprié car le travail sur la mémoire est de l’ordre de l’imaginaire autant que de la réalité. Folman utilise toutes les techniques de l’animation pour montrer de simples témoignages recueillis dans le style des documentaires de la BBC jusqu’à des scènes totalement oniriques (la valse sous les tirs de mitraillettes, l’apparition d’une femme-sirène…) ou épouvantables (les chiens hurlants de la première scène, la longue procession des réfugiés chassés de leur camp, la découverte des corps des familles massacrées…).

Les mains en l'air dans Valse avec Bachir  - crédit photo Le PacteEst-il étonnant que, dans ce travail sur la mémoire, la Shoah soit évoquée ? Elle est même quasi omniprésente : l’image de ces réfugiés sortant des camps de Chabra et Chatila est un écho de la photo de l’enfant du ghetto de Varsovie. Les cadavres empilés dans les ruelles des camps rappellent les cadavres découverts dans les fossés des camps de concentration.

Le Tank dans Valse avec Bachir  - crédit photo Le PacteRemettre en cause la politique récente d’Israël en faisant référence à la Shoah et laissant entendre que des descendants des victimes d’alors sont des complices de bourreaux, c’est la vraie audace de ce film. Seul un Israëlien peut se permettre un telle mise en abyme, sans se faire traiter d’antisémite. Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens, ce film réalisé par un cinéaste à succès dans son pays et qui a toujours gardé ses distances avec le cinéma militant, montre la vivacité de la démocratie de la société civile israélienne. Comme trop souvent, le monde politique n’est qu’un pâle, très pâle reflet de cette démocratie.

Toute communauté, nationale ou non, a des fondements historiques et/ou légendaires qui la crée et la légitime. Mais ces fondements ne doivent pas être un écran pour assumer la réalité, ne doit pas nous empêcher de juger et penser. Un autre juif, Emmanuel Levinas, écrivait dans La conscience juive (cité dans la biographie de Levinas écrite par Marie-Anne Lescournet):

« Ce n’est pas l’histoire anonyme qui juge en modifiant, de par son déroulement même, le sens objectif de ce que, en toute sincérité, les personnes vivent et pensent et font. Ce qui, poussé jusqu’au bout, nous interdirait de penser et de parler. Car penser et parler, c’est interrompre le cours de l’histoire. Vivre une vie éternelle, c’est pouvoir juger l’histoire, sans en attendre la fin. A tout moment les hommes sont mûrs pour le jugement, c’est-à-dire sont adultes et responsables. Exister en dehors de l’histoire, c’est substituer à l’idée d’un jugement qui vient quand les temps sont révolus, un jugement qui se fait pendant qu’il est temps encore. Loin d’interdire l’action et l’engagement, une telle attitude est la condition principale d’une action qui ne soit pas seulement impétueuse ou impatiente. »

S’il y a encore un lecteur en ce bas de billet, il doit trouver que je me suis éloigné de Valse avec Bachir. Pas tant que cela : Ari Folman, une fois sa mémoire retrouvée, prend la liberté de penser et de parler en homme mur pour juger son histoire, l’histoire dont il est issu, l’histoire dont il est partie prenante… N’est-ce pas lévinassien ?

2 commentaires sur “Valse avec Bachir

  1. je suis arrivé en bas du billet! Le texte en rouge est difficile, surtout hors contexte, comme, je l’imagine, tout ce qui vient de Lévinas est difficile à comprendre quand c’est détaché de son contexte. Ceci dit, je crois que tu as voulu écrire « substituer » et non « subsister »

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