Vu le film Le dernier voyage du juge Cheng.
Ce voyage à trois d’un tribunal ambulant dans une région reculée de la Chine qui n’a pas encore bénéficié des effets d’une mondialisation conquérante donne au réalisateur, Liu Jie, l’occasion d’évoquer deux confrontations : d’abord, celle d’un pays normalisateur qui tente d’imposer des règles « modernes » de justice d’Etat dans une contrée toujours pétrie de traditions et enracinée dans ses particularismes.
Cela donne des scènes loufoques et cocasses : le juge achète un porcelet pour mettre fin à un procès; un mari reprend sa femme qui se lamente hystériquement parce qu’elle n’a plus de logement à la suite de leur divorce. Tout ceci baigné dans des paysages grandioses et austères, en traversant des villages de la Chine que l’on croyait disparue tellement nous sommes gavés d’images de l’extrême modernité de Shangaï ou Beijing.
A travers ces situations étranges, ce film livre une belle réflexion sur la construction difficile et conflictuelle d’un état moderne et centralisé. La France a dû de se bâtir lentement de façon semblable, en gommant les disparités régionales au sein de notre « République Une et Indivisble », modéle français dont nous sommes si fiers.
L’autre confrontation est celle de deux générations. Entre le jeune juge et son ainé, une rivalité sourde naît, non seulement sur la façon de rendre la justice, ou sur l’importance de la perte de l’emblème, marque officielle de la souverainté de l’Etat. Mais aussi et surtout sur la vie amoureuse. Futur marié, le jeune veut brûler les étapes pour rejoindre sa promise. A la suite d’un différend juridique, le père de la mariée reprend sa fille sous son toit. La nuit suivante, elle est enlevée et les tourtereaux trouvent refuge dans le village voisin, au grand dam du juge Cheng qui ne comprend pas que son jeune collègue puisse mettre en péril sa carrière de façon aussi brusque et irresponsable. Tout entier dévoué à sa mission, il est resté seul toute sa vie, avec un amour tout proche de lui mais jamais approché. Il le crie quand il est loin d’elle. Et meurt.
Sans aucune sensiblerie, mais avec beaucoup de sensibilité, le réalisateur, Liu Jie, livre ainsi une autre réflexion sur l’avenir possible d’un pays où la soif de jouir de la vie pourrait avoir raison de la raison d’Etat.
Pour quand ? La lecture du blog Journal d’un Chinois laisse à penser que ce n’est pas encore pour demain matin.
Très bon film avec un scénario subtil. Le personnage du juge est vraiment attachant avec ses jugements à l’amiable. C’est étonnant de le voir avec son âne, sa greffière et le jeune homme frais émoulu sur les sentiers escarpés. Il est confronté à des gens qui vivent comme au 19ème siècle qui parlent des dialectes différents. C’est un film sur le choc des civilisations anciennes et modernes, sur la vieillesse et la mort. C’est un film très triste mais tellement bien.
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