A quelques semaines d’intervalle, j’ai lu Plateforme de Michel Houellebecq et Le dollar des sables de Jean-Noël Pancrazi. Deux livres totalement différents, voire même opposés, qui n’ont d’ailleurs pas grand chose en commun. Mais le sujet de fond est le même : le sexe loin de l’Europe, dans des pays où les habitants du vieux continent pensent trouver plaisir ou réconfort.
A son habitude, Houellebecq traite le sujet par la description impitoyable de petits bourgeois lassés et revenus de tout. Cette fois-ci, le narrateur ne reste pas dans sa chambre, mais tente de mettre de la distance avec son quotidien peu brillant en allant en Thaïlande à la recherche de plaisirs tarrifés et plus ou moins furtifs. Qu’il y rencontre l’amour avec une Française type femme d’affaires dure en surface et tendre au fond permet à l’auteur une description impitoyable du business du tourisme sexuel organisé … à moins qu’elle ne soit complaisante.
La phrase que j’ai retenue de ce livre est une description décomplexée d’un marché florissant qui marque de façon toujours occulte les relations Nord-Sud :
D’un côté, tu as plusieurs centaines de millions d’Occidentaux qui ont tout ce qu’ils veulent, sauf qu’ils n’arrivent pas à trouver de satisfaction sexuelle : ils cherchent sans arrêt, mais ils ne trouvent rien, et ils en sont malheureux jusqu’à l’os. De l’autre côté, tu as plusieurs millards d’individus qui n’ont rien, qui crèvent de faim, qui meurent jeunes, qui vivent dans des conditions insalubres et qui n’ont rien à vendre que leur corps, et leur sexualité intacte. C’est simple, vaiment simple à comprendre : c’est une situation d’échange idéale. Le fric qu’on peut ramasser là-dedans est presque inimaginable, c’est plus que l’informatique, plus que les biotechnologies, plus que les industries des médias : il n’y a aucun secteur économique qui puisse lui être comparé.
Lucidité ? Cynisme ?
Le regard de Jean-Noël Pancrazi est totalement différent. Pas seulement parce qu’il s’agit de relations homosexuelles. Mais parce que les sentiments s’en mêlent.
Dès le début du livre, l’auteur balaie d’une phrase toute justification par les relations Nord-Sud : j’aurais pu sourire en pensant à la relation Nord-Sud, à ces analyses qu’on ne rappelait que pour essayer d’élargir un peu, théoriser, de donner un sens politique à son propre désarroi…
L’histoire du narrateur est effectivement celui d’un désarroi, celui d’un vieil homme qui pense que l’échange d’argent peut ne pas polluer complètement des sentiments entre deux personnes dont la situation économique et sociale est totalement opposée. Certes, il y a des moments où la tendresse et la complicité s’insinuent. Mais l’engrenage dans lequel est pris chaque personnage du livre aboutit à des catastrophes prévisibles mais douloureuses.
Mais qui ne pense pas pouvoir les éviter ? Submergé dans une empathie sentimentale et aveuglé par le plaisir physique, le narrateur ne peut se libérer de sa naïveté. Comme en témoigne cet extrait :
(…) je le suppliais intérieurement de ne pas aller au-delà de la menace, dans le chantage, pour ne pas abîmer ce lien que j’avais imaginé pour quelques années au moins, ruiner ce qui ressemblait à l’amour avec cet argent qui venait comme un saccage, une punition inavouée, un vol exigé du fond de l’enfance, de la misère, une revanche excitée de l’esclave contre ce maître qu’i savait dominer, qui dépendait pour vivre, de ses mains, qu’il croyait tenir (..)
Autre chose qui sépare ces deux livres, le style : celui de Houellebecq reste concis, direct, sans fioriture, sec et dur, ironique et mordant. Celui de Pancrazi est semblable à une grande houle toujours recommencée au surface de laquelle les personnages, les sentiments et l’implacable réalité sont perpétuellement ballotés… Chaque style correspond parfaitement au regard de chaque auteur.
Intéressant. Je n’ai lu ni l’un ni l’autre. Je n’aime pas le cynisme désabusé de Houellebecq (qui me semble très artificiel, un truc littéraire). Quant au narrateur de Pancrazi… ça me semble être perdu d’avance pour lui!
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